r e v i e w s

Liz Magic Laser

par Raphael Brunel

Discours primal, CAC Brétigny, 13.05 — 30.07.2017

Depuis une dizaine d’années, l’artiste new-yorkaise Liz Magic Laser dissèque les tics des logiques de communication qui régissent nos sociétés contemporaines, explorant et détournant les langages corporel et verbal qui participent, dans les sphères politique et médiatique, au façonnage de l’opinion publique. Ainsi, elle s’appuie sur des interviews de personnalités comme Hillary Clinton, Barack Obama ou Sarah Palin pour construire les dialogues d’un drame romantique (I Feel Your Pain, 2011), transpose la pièce Huis clos de Jean-Paul Sartre dans le contexte d’un journal télévisé avec la complicité des studios de la SVT à Malmö (In Camera, 2012) ou fait exécuter par un ou deux danseurs les mouvements – en particulier ceux des mains – effectués par des chefs d’État lors d’allocutions publiques filmées (Digital Face, 2012 et Stand Behind Me, 2013). Dans ce dernier cas, la voix s’évanouit dans une performance mutique mettant à jour un discours plus subliminal, une chorégraphie du pouvoir. Le travail de Laser a largement été nourri par la méthode oratoire développée par François Delsarte au XIXe siècle, qui accorde une place centrale à la gestuelle et au dialecte digital (renvoyant ici au doigt et par extension à la main) et influença nombre de chorégraphes contemporains en particulier aux États-Unis. Adaptations ou transpositions, ses œuvres entremêlent références littéraires et histoire médiatique récente, conventions contemporaines de la danse ou du théâtre et terminologie économico-politique, froideur analytique et questions existentielles.

Qu’elles se déroulent dans un lieu d’art, un théâtre, un studio de télévision, une banque ou dans la rue, les performances de Laser sont généralement filmées. Si le recours à la vidéo dépasse la simple documentation, c’est qu’elle se voit fréquemment intégrée comme dispositif à part entière, produisant une situation de film live, dont les images sont réalisées et projetées en direct, au sein d’un espace hésitant entre le plateau de cinéma, la salle de théâtre et le studio de télévision. L’omniprésence des caméras crée une mise en abyme de la performance et rejoue le dispositif médiatique auquel elle emprunte ses gestes ou répliques, incorporant l’assistance à la manière d’un show télévisé. À l’inverse, d’autres travaux vidéo, s’ils engagent une dimension performative propre à l’écriture d’un scénario et à l’implication de comédiens, sont envisagés comme projections ou installations autonomes. Quelle qu’en soit la nature (cette ambivalence formelle semble pleinement assumée), ses œuvres témoignent de logiques collaboratives, impliquant acteurs et danseurs mais aussi les spécialistes des champs spécifiques qu’elle investit (journaliste, coach vocal ou thérapiste), incluant ainsi dans le processus d’écriture les savoirs et forces en présence.

On retrouve les différentes facettes de la pratique de Laser à travers un ensemble d’œuvres récentes présentées au CAC Brétigny, dont deux vidéos mettant en scène des enfants acteurs. Dans The Thought Leader (2015), un garçon d’une dizaine d’années, seul sur scène, délivre avec éloquence, sur le modèle des conférences TED, un discours critique et amer sur le capitalisme qui se révèle être une adaptation d’un monologue tiré des Carnets du sous-sol de Dostoïevski s’en prenant à l’origine à la pensée socialiste. Ce détournement caustique du dispositif spectaculaire des conférences TED et de la figure du leader d’opinion énonçant « des idées qui valent la peine d’être diffusées »[1] est complété par deux miroirs sur lesquels sont reproduits des schémas de Delsarte, comme si son art oratoire avait trouvé sa pleine expression dans ce type de prise de parole mondialisée. Dans My Mind Is My Own (2015), la coach Kate Wilson cède la place à sa fille de onze ans pour animer une séance de développement personnel dont les exercices vocaux consistent à invectiver symboliquement les personnes haïes.

Cette adresse conflictuelle et curative à un autre absent prend une tournure explicitement politique avec Primal Speech (2016), qui s’inspire ici de la thérapie primale développée dans les années 1970 par Arthur Janov aux États-Unis. Celle-ci consiste à retrouver un état prélinguistique propre à la très petite enfance, à aller chercher au fond de soi, dans une logique cathartique, un cri originel et libérateur. Comme souvent, l’artiste travaille cette discipline avec un coach de vie certifié (Valerie Bell) mais en déplace les enjeux sur un autre terrain. Elle adapte en effet cette pratique au contexte tendu de l’élection présidentielle américaine et du Brexit et, dans le cadre de sa présentation au CAC Brétigny, de la campagne française, l’actrice Adèle Jacques incarnant pour l’occasion le rôle de la coach (Gisela Chipe dans la version originale). Elle s’adresse directement au spectateur comme s’il participait à la séance regroupant des femmes et des hommes aux points de vue divergents sur ces rendez-vous électoraux déterminants. Évoquant une salle de confinement, le décor de la vidéo est en partie répliqué dans une installation où il est invité à prendre place, ce qui renforce le basculement suggestif de son statut de visiteur vers celui de patient. Vient s’y adjoindre une collection de peluches inspirées de logos politiques qui est enrichie en fonction du pays où l’œuvre est montrée (la rose du PS et la flamme du FN comptent ainsi parmi les nouveaux venus), petit clin d’œil à la thérapie primale où chacun apporte un « doudou » pour se réconforter ou passer ses nerfs. On pourrait convoquer à nouveau ici la référence à Huis clos – passée à la moulinette de la télé-réalité – mais dans cette logique d’enfermement où se confrontent les antagonismes, Laser trouve le moyen de recréer un espace démocratique, qu’il prenne la forme d’un tournage ou d’un workshop ouvert à tous, comme celui organisé au CAC dans l’entre-deux tours des élections présidentielles.

[1] C’est en ces termes que TED présente sa mission comme une véritable expérience de partage et de diffusion des idées permettant de penser notre futur commun. Soit « 18 minutes pour bousculer nos visions du monde ».

(Image en une : Vue de l’exposition « Discours primal », Liz Magic Laser, CAC Brétigny, France, 2017. Photo : Aurélien Mole. Courtesy Various Small Fires, Los Angeles et Wilfried Lentz, Rotterdam.)


articles liés

Lydie Jean-Dit-Pannel

par Pauline Lisowski

GESTE Paris

par Gabriela Anco