Liz Magic Laser
Handle / Poignée
Le Confort Moderne, Poitiers, 15.09 – 16.12.2018
C’est par chance que le visiteur du Confort Moderne parvient à l’installation de Liz Magic Laser, tant l’entrepôt de cette ancienne fonderie et magasin d’électroménager a été envahi par le labyrinthe de tissu suspendu par le collectif avaf : après avoir fait l’expérience de la désorientation, voire de l’enfermement, il débouche dans une alcôve qui se présente comme un refuge. Pourtant, c’est aussi une impasse. Le dispositif, plongé dans la pénombre, se compose d’une projection et de tapis en mousse en forme de diagramme de Venn sur lesquels le spectateur est invité à prendre place. La vidéo, d’une quinzaine de minutes, adopte la forme du teaser promotionnel au service d’une firme internationale. Ce sont les sponsors et coproducteurs qui apparaissent en premier – une pratique devenue si courante qu’on a quelques difficultés à en déceler ici la portée critique. Les trois cercles colorés du diagramme surgissent progressivement dans un effet mimant la magie du PowerPoint. C’est aux sciences cognitives que l’artiste emprunte ce schéma illustrant les relations entre l’individu et l’autorité politique envisagées sous l’angle du modèle familial – réflexion qu’elle emprunte au linguiste américain George Lakoff1. Trois danseuses apparaissent en plongée verticale sur le graphique devenu matériel. Les costumes en patchwork dont elles sont vêtues semblent évoquer ceux de l’opéra futuriste de Malevitch, Victoire sur le soleil (1913), dans lequel les Hommes ont acquis leur supériorité sur la nature grâce à l’usage de la machine, dont ils sont dépendants. Ce sont, en effet, des marionnettes qui nous sont présentées ici. Les quatre chapitres illustrent chacun une personnalité archétypale : le parent autoritaire, le parent nourricier, l’enfant obéissant et, à la croisée de tous les ensembles, l’enfant rebelle. Pour chaque séquence, les danseuses interprètent des mouvements stéréotypés, signes expressifs renvoyant immédiatement à un inconscient collectif occidental. Taper du poing sur le sol ou faire vaciller les accessoires en mousse traduisent la désobéissance tandis que des tracés rectilignes, gestes de conditionnement, frappés dans le dos, claquements ou pointés du doigt (qui rappellent l’affiche de propagande américaine I want you en 1917) constituent autant d’exemples du comportement disciplinaire… Le répertoire de gestes convoque volontairement la danse thérapie – Liz Magic Laser ayant collaboré avec un atelier de développement personnel parisien pour ce projet. Chaque mouvement est répété afin d’en favoriser l’appropriation par le visiteur. De fait, le jour du vernissage, ainsi que durant la présentation de l’installation dans le cadre du festival MOVE au Centre Pompidou en juin 2018, les danseuses transmettaient la partition au public. Bien que la pièce puisse être envisagée comme un « anti-climax » dès lors que la performance ne vient plus l’activer, selon les mots de la commissaire, Sarina Basta, la dimension mimétique agit à merveille grâce aux tapis qui prolongent l’espace de la vidéo et impliquent physiquement le spectateur. On le voit : il s’agit encore une fois pour Liz Magic Laser de mettre en évidence les manipulations dont nous sommes l’objet face aux mises en scène médiatiques. Particulièrement efficaces, car jouant sur l’expression de nos instincts, ces thérapies somatiques ne seraient-elles là que pour nous endormir ? C’est la démonstration ambiguë qu’en propose l’artiste. Si la mécanique est bien huilée, on se pose la question de la place accordée au spectateur. Certains étudieront les outils théoriques sur lesquels repose ce travail mais la plupart d’entre nous prendront simplement conscience du jeu de dupes auquel nous nous sommes livrés. La critique du système transparaît cependant dans le titre du projet. « Handle / poignée » renvoie à la première poignée de main entre le président américain et son homologue français à Bruxelles en juin 2017. Le geste est ferme et prend la forme d’un bras de fer. Il a été fortement médiatisé pour cette raison. Cette année encore, lors du sommet du G7 au Canada, en juin 2018, la trace blanche laissée sur les phalanges de D. Trump par E. Macron a été interprétée comme un symbole de tensions. Autant dire que nous sommes revenus à l’état primaire de la communication non verbale dont les journalistes se repaissent pour déterminer lequel des deux domine la situation. Handle ne traduit pas littéralement le geste de la poignée de main (shake-hands) mais évoque l’expression Handle with care, « manipuler avec soin », que l’on retrouve sur les caisses de transport d’œuvres d’art. D’une manipulation à une autre, il n’y a qu’une poignée de main. Dans la performance qui s’est tenue lors de l’inauguration au Confort Moderne, une danseuse diagnostiquait la psychologie de chaque visiteur à partir de cette prise de contact — Handle, c’est aussi saisir, au sens propre comme au figuré. En 1972, au festival international de Belgrade, Gina Pane réalisait l’action Vie-Mort-Rêve dans laquelle elle souhaitait mener « une expérience de communication physique avec le public2 ». Une image d’archive montre l’artiste qui, de dos, entrelace ses doigts avec ceux d’un jeune homme. Là où les utopies des années 1970 cherchaient à créer dans la relation avec un inconnu une forme d’« être-ensemble » malgré les différences, les interactions mises en place par Liz Magic Laser font le constat d’une société de communicants où la « réalisation de soi » met les corps en conformité.
- George Lakoff, Moral Politics: How Liberals and Conservatives Think, Chicago, University of Chicago Press, 1996. George Lakoff y distingue deux morales politiques : la libérale consistant à prendre soin des autres et la conservatrice de soi-même.
- François Pluchart, « Belgrade-Action Vie-Mort-Rêve », arTitudes, n°6, avril-mai 1972, p. 1, cité dans Sophie Delpeux, « Le “familier-inconnu” de Gina Pane (à propos d’une image d’archive) », Critique d’art, 23 | Printemps 2004.
Image en une : © Liz Magic Laser, Le Confort Moderne, 2018.
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- Du même auteur : L’Anthologie de l’éternuement de Fred Ott. Flinch aux Moulins de Paillard, Alex Cecchetti au musée de Rochechouart, Stéphane Thidet, Benjamin Seror, Jibade-Khalil Huffman,
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