Louise Sartor
Kiss of Life, Consortium Museum, 13.03 – 18.10.2020
L’annonce de l’exposition Kiss of Life de Louise Sartor fut d’abord surprenante pour qui connaît l’appétence du Consortium pour une peinture de grand format, bien adaptée aux volumes de ses espaces. Au contraire, celle de Louise Sartor s’est d’emblée affirmée par son opposition aux canons traditionnellement dévolus à ce médium : les œuvres sont petites, fragiles, traitées avec une grande précision dans une veine classique. Les supports sont inhabituels, allant du carton de paquet de gâteaux à une vieille paire de tennis, du papier Canson déchiré à la boîte à œufs ou encore à une pelle à crottes de chien… Si elle prête une grande attention à l’histoire de la peinture, même ante modernité, l’artiste se désintéresse de la toile tendue sur châssis dans laquelle l’amateur est habituellement invité à s’abîmer. On peut dès lors se demander si les espaces du Consortium ne sont pas disproportionnés, si montrer de telles peintures comme on montre de grands formats s’avère judicieux. En pénétrant dans la salle principale, on constate d’abord qu’on ne peut distinguer aucun sujet à première vue. L’ensemble s’apparente à un espace où seraient mis en vente des smartphones et des tablettes. Rappelons ici que les formats choisis par l’artiste sont effectivement proches de ceux de nos écrans quotidiens. Aussi n’est-ce peut-être pas un hasard si la visite de l’exposition commence, étrangement, avec deux tablettes numériques diffusant un nombre incalculable de dessins numériques… Ceux-ci sont réalisés par l’artiste sur ce même type d’outil, pendant l’exposition, et mis en ligne directement de « l’atelier » à la salle d’exposition (sans l’aval du commissaire). Ces dessins, l’artiste les considère comme des esquisses qui, situées au début du parcours, évoquent leur apparition en amont dans le processus de création.
Ce préambule interroge sur le statut de ces « peintures » numériques qui, si elles s’avèrent un peu kitsch à première vue, deviennent très séduisantes au cours du visionnage. Bien que hiérarchiquement inférieures aux peintures physiques, elles finissent néanmoins par apparaître tout aussi intéressantes, autant dans leur traitement que dans leurs coloris. On se demande alors si les numériques ne valent pas les matérielles… Que vaut encore la peinture réelle quand les artistes finissent par si bien maîtriser les outils technologiques ?
Quoi qu’il en soit, cette entrée en matière dénote un fort intérêt de Louise Sartor, non pas spécifiquement pour les images diffusées en ligne (pour une artiste de sa génération, cela serait un pléonasme), mais pour la variété des formats d’accès aux images. Elle ne se contente en effet pas seulement de tirer ses sujets d’images trouvées sur internet ou prises avec son smartphone, elle en exploite également le format. Ainsi, chacune de ses œuvres peut se tenir dans la main, ses sujets sont quasiment photographiques, sans verser dans l’hyperréalisme pour autant puisque la touche demeure légèrement naïve à la manière d’un Maurice Utrillo.
Louise Sartor ne réalise pas des peintures d’« images » et n’aspire pas à questionner leur mode de diffusion. Elle se plaît à ré-exploiter les grands thèmes historiquement associés à son médium (le paysage, la nature morte, le nu féminin, le portrait en pied…), tout en les traitant de manière irrévérencieuse grâce à l’utilisation de supports d’une grande précarité dont la pérennité peut être mise en doute[1]. Sa peinture ne rend donc pas hommage à la tradition mais vient la placer à sa juste position, au niveau d’une certaine intimité, d’un rapport partagé par tout un chacun dans une vie faite de déplacements, de rencontres et d’expériences. Elle n’encense pas le beau par le grandiose mais elle y tient malgré tout, évitant par là de sombrer dans le morbide et la dépression, si tentants actuellement. Ses vues urbaines, vides de présence humaine, ne représentent pas des sujets d’une grande beauté en eux-mêmes mais son œil les capte avec justesse et retient ce qu’elles ont de plus touchant esthétiquement. Plus loin, ses nus féminins sont moins portés sur le sexe que sur un certain érotisme soft, proche de celui admis par les réseaux sociaux, permettant à l’artiste d’insister sur une présence poétique du corps plutôt que sur un désir libidinal. On remarquera parmi eux celui peint sur un morceau de polystyrène arraché dont la surface granuleuse donne à la peau du sujet un effet vaporeux surprenant.
De manière générale, les sujets choisis surprennent par leur prosaïsme et il serait vain de leur chercher une correspondance symbolique. Ils semblent avant tout renvoyer à ce qu’ils sont : un bar PMU au bord d’une plage, une église de campagne, des peupliers et des cyprès dans le feuillage desquels on entendrait presque le bruit du vent… Ses portraits (souvent d’amis chers) demeurent de même énigmatiques, inaccessibles. Le regard se déplace alors sur des surfaces sans profondeur, une peinture-plan dont la perspective ne saurait être d’une grande aide pour en saisir le sens supposé. Il ne s’agit pourtant pas ici d’une faiblesse mais d’une force, celle d’une manière de peindre ayant assimilé la puissance virale des images en ligne : une manière de peindre qui ne se laisserait pas dicter quel devrait être le nouveau régime des images.
[1] Notons que si Louise Sartor n’encadre jamais ses œuvres, l’exposition nous révèle que les collectionneurs le font une fois leur acquisition faite. L’ensemble des œuvres encadrées, une série de nus féminins, a été rassemblé sur un même pan de mur afin d’atténuer l’effet perturbateur des cadres sur la cohérence de l’accrochage.
Image en une : Vue de l’exposition Kiss of Life de Louise Sartor, Consortium Museum, Dijon, 2020. Photo : Rebecca Fanuele © Consortium Museum
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- Du même auteur : Retour sur Mulholland Drive, Co-Workers, Personal Cuts, Art à Zagreb de 1950 à nos jours, Mark Leckey, Enchanter la matière vulgaire, L’Heure des sorcières,
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