r e v i e w s

Lydie Jean-Dit-Pannel

par Pauline Lisowski

A Long Way, Lydie Jean-Dit-Pannel 
8 juin — 15 septembre 2024
Les Tanneries, Amilly 

Dans la lignée des artistes marcheurs, Lydie Jean-Dit-Pannel décide de faire de la marche une traversée d’un territoire, durant laquelle elle entreprend des collectes, dressant ainsi un état des lieux de ses observations des marques que l’homme laisse au sol. Sa collection de figurines de King Kong dont chacune a le poing levé, commencée en 2018, qu’elle nomme Mes rois, donne le ton de son exposition au centre d’art Les Tanneries : la revendication, la colère face à un monde pollué où il devient urgent de résister, également son désir de proposer des œuvres qui parlent à tous.  

L’exposition de Lydie Jean-Dit-Pannel et celle de Richard Long (8 juin-3 novembre), toutes deux curatées par Bénédicte Ramade, se répondent. Si l’une marche en ville, l’artiste anglais marche dans des lieux reculés, non marqués par l’empreinte humaine. L’artiste affirme clairement son intérêt pour la démarche de Long et lui rend ici un double hommage. Dans la verrière, l’installation A Long Way reprend les mêmes dimensions que l’œuvre White Rock Line de Richard Long, située dans la grande halle. Lydie Jean-Dit-Pannel a rassemblé au sol des déchets noirs non dégradables collectés lors de marches dans le quartier où elle travaille et vit, à Malakoff. Face à cette quantité d’objets, on ne peut rester insensible. Cette œuvre dit beaucoup de la société marquée par le capitalisme, le poids des produits de consommation issus de la pétrochimie : un état du monde bouleversé, où le sol est marqué par une quantité de matière polluante, d’objets composant un terreau non fertile. L’artiste fait écho à l’œuvre de Long en laissant une trace linéaire de 40 mètres sur la presqu’île, à la suite d’une marche de 637 kilomètres, répétée du 3 juillet au 3 août.  

Lydie Jean-Dit-Pannel, vue de l’exposition « A long way », commissariat de Bénédicte Ramade, Centre d’art contemporain – Les Tanneries, Amilly, 2024. Photo : Aurélien Mole.

Lydie Jean-Dit-Pannel fait de son corps une œuvre in progress : elle a instauré un rituel de tatouages de papillons monarques qui rythme ses différents voyages. Ils sont visibles notamment dans sa série photographique, Entertainment, pour laquelle l’artiste incarne la figure de Psyché. Allongé sur le sol de sites nucléaires, en France, en Europe et aux États-Unis, ou des lieux de catastrophes comme Tchernobyl et Fukushima, son corps gisant exprime une certaine fragilité, celle également d’une ère dévastée, où la pollution et le désastre suscitent l’interrogation. Les images rendent visible la gravité des lieux et inspirent une sensation de peur, de tragique. Après avoir emmené son double dans ces territoires difficiles, elle lui a donné une autre forme : petite céramique posée au sol, Psyché apparaît d’autant plus vulnérable et implique une grande vigilance de la part des visiteurs. « Tout est devenu toxique, nous n’allons nulle part », s’est alors dit l’artiste. À partir de cette réflexion, elle s’est demandé si « Nulle part » existe. Et oui, Nowhere est un petit bourg d’Oklahoma aux États-Unis. Elle s’y est rendue pour prendre une dernière photographie de Psyché.  

Dans l’espace de la grande galerie, des œuvres témoignent de deux marches, épopées de l’artiste, dont la première, en 2022, de New York à Nowhere ; l’année qui suit, elle y retourne depuis Los Angeles. En guise d’introduction à la restitution de ces marches est présenté un papier peint, ALIVE, sur lequel elle a dessiné son corps marqué par les localités traversées, à la manière d’une planche d’anatomie. Sur sa jambe, elle a fait tatouer les noms des villes traversées, dont les différentes typographies ont été choisies par les tatoueurs. Sa peau devient alors une sorte de support cartographique, où chaque inscription rend compte d’une étape de sa longue expédition. Werner, son chariot de randonnée, son véritable compagnon de route, accueille les visiteurs à l’entrée de l’exposition. Il contient son nécessaire de survie. Werner apparaît également sur ses photographies, tel un personnage qui la suit et auquel elle se confie.  

Disposées soigneusement, les collections de l’artiste témoignent de son observation du monde, devenu dépotoir. Ruines, collection de nids présentée tel un trésor, donne à voir l’extraordinaire ingéniosité des oiseaux bâtisseurs. Parmi les éléments naturels, des morceaux de plastique et de métal révèlent l’extrême pollution du monde qui irrite l’artiste. Sur un mur, à l’image des tracés de ses trajectoires, une ligne de déchets endémiques des États-Unis rend compte de son désenchantement face à la découverte d’un territoire imprégné de résidus, signes d’un manque de soin, d’un monde dévasté.  

Lydie Jean-Dit-Pannel, vue de l’exposition « A long way », commissariat de Bénédicte Ramade, Centre d’art contemporain – Les Tanneries, Amilly, 2024. Photo : Aurélien Mole.

Pour l’artiste, il était nécessaire de tenir un journal de bord et de maintenir un lien avec ses proches, mais également avec la population. Ses marches ont d’ailleurs été suivies par de nombreuses personnes, à tel point que son arrivée à destination d’Oklahoma fit la une du journal télévisé de KFORTV. De nombreuses photographies et diaporamas vidéo montrent différentes étapes de ses longues traversées à pied, des moments de découragement, de reprise de force, d’émotion, de discussions avec des personnes auprès desquelles elle trouva refuge. « Je traversais une Amérique qu’on voit très peu », m’a-t-elle confié. Des plans de marches, sur lesquels des gommettes indiquent ses haltes, ainsi que des œuvres qui rendent compte d’autres marches poétiques complètent l’accrochage. 

À Nowhere, Lydie Jean-Dit-Pannel a tissé des liens avec des personnes qui ont tellement pris à cœur son projet qu’elles ont décidé d’inaugurer un lieu d’exposition en son honneur. Elle se prépare actuellement à y retourner en 2025 depuis Cape Canaveral, une nouvelle marche dont elle commence à établir l’itinéraire et les points d’arrêt : une expérience qui l’entraînera sur de nouvelles routes. 

Lydie Jean-Dit-Pannel, vue de l’exposition « A long way », commissariat de Bénédicte Ramade, Centre d’art contemporain – Les Tanneries, Amilly, 2024. Photo : Aurélien Mole.

Head image : Lydie Jean-Dit-Pannel, vue de l’exposition « A long way », commissariat de Bénédicte Ramade, Centre d’art contemporain – Les Tanneries, Amilly, 2024. Photo : Aurélien Mole.


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