Mamma Andersson chez Zwirner
Mamma Andersson: Adieu Maria Magdalena
Maria Magdalena est le nom du quartier que l’artiste suédoise Mamma Andersson a quitté après y avoir habité longtemps. Un adieu à une partie d’elle-même, un salut à des espaces tant architecturaux qu’existentiels qui ont marqué une phase de sa vie, un farewell à des lieux que seulement sa mémoire pourra réhabiter : dès le titre de sa première exposition personnelle à Paris, l’artiste nous plonge directement dans son univers intime et personnel, marqué par des affects liés à la perte, à la séparation, à l’abandon et à la mélancolie des petites morts qui accompagnent chaque changement.
Un changement devenu sensible aussi au niveau technique, car au lieu des panneaux de bois utilisés auparavant par l’artiste, les supports des dix-sept peintures à l’huile montrées à la Galerie David Zwirner sont des toiles. Créées spécifiquement pour cette exposition, elles datent toutes de 2023. Aussi, à la différence de ses expositions précédentes, les œuvres présentées dans Adieu Maria Magdalena sont caractérisées par l’absence de figures humaines et d’espaces extérieurs.
Néanmoins, le paysage reste très présent. Il s’empare des paravents, il s’insinue dans les reflets des miroirs, il envahit les papiers peints en créant des coïncidences inquiétantes entre les surfaces de ces supports et les images reproduites. Miroirs de l’âme, ces tableaux d’intérieurs domestiques reflètent des figures oniriques issues de l’imagination ou des souvenirs de l’artiste.
Au sein de l’étrange familiarité de ces espaces, se trouvent des « objets partiels » récurrents dans le travail de Mamma Andersson (par exemple les mains de mannequin), ainsi que des éléments présents dans sa maison ou son studio (comme la broderie suzani dans le tableau Armageddon) ou alors des cadeaux personnels (tel que le masque dans Ohh, Deer, qui rappelle une œuvre précédente de l’artiste : The Mother, 2021). Arrachées à l’écoulement du temps, ces présences laissées à elles-mêmes – dont le seul point commun est celui des associations subjectives de l’artiste – évoquent la poétique romantique du fragment.
À la mise en scène de ces objets, se mélangent des images et motifs issus de l’histoire de l’art. Les influences déclarées par l’artiste varient du surréalisme à la peinture traditionnelle de sérigraphie de l’Asie de l’Est, des peintures d’Édouard Vuillard à celles d’Edvard Munch, des scènes d’intérieurs de Vilhelm Hammershøi aux paysages de Carl Fredrik Hill. Tableau dans le tableau, Lièvre mort d’Ehrenstrahl reproduit en hommage Landskap med död hare du peintre suédois David Klöcker Ehrenstrahl.
Les éléments représentés, avec lesquels elle a été en contact pendant longtemps, perdent leur fonction d’objet et deviennent des images intérieures qui se déplacent d’une toile à l’autre. En se promenant dans l’espace de la Galerie David Zwirner, on remarque en effet la logique interne qui « tient » l’exposition. Les tapis-moquettes rouges aux motifs matissiens de Lièvre mort d’Ehrenstrahl et de Still Life instaurent une connexion directe entre un côté et l’autre de la salle principale. Cette dernière est liée à l’autre espace de la galerie par les images du paravent, par les mains de mannequin ou par les têtes d’Apollon, qui font penser à celle de Giorgio de Chirico dans Chant d’amour (1914). Parfois, ce sont les mêmes dispositions spatiales qui créent des échos tacites entre une œuvre et la suivante, comme la succession de Quel Bordel et Willy-nilly. Parfois c’est un tableau (Döden, Döden, Döden) qui est représenté accroché au mur dans un autre (Vacua Domus II). Des peintures de peintures, des images d’images, des représentations de représentations…le jeu de renvoi construit entre les tableaux redouble leur jeu de reflets. De fait, certaines peintures représentent des anciens cadres avec des gros miroirs, dont il était coutume de couper les verres à moitié pour en faciliter l’installation. Cela donne des reflets déformés et des images diffractées, qui évoquent la capacité des souvenirs de doubler, souvent différemment, la réalité. Ces surfaces réfléchissantes redonnent soit des architectures domestiques limitées, claustrophobiques, soit des paysages qui sont plus psychologiques que topologiques. Ce sont des images de choses qui vont et (re)viennent, auxquelles on ne peut pas échapper, car il n’y a pas un dehors de ces peintures. Tout, dans ces toiles, reste intérieur. Grandes, lourdes, pleines, elles semblent dire que nous ne pouvons pas sortir d’elles tout comme nous ne pouvons pas sortir de nous-mêmes.
Emblématique, en ce sens, la pièce qui donne le nom à l’exposition, où le paravent – avec sa fonction à la fois de cloison mobile et de support d’art – joue le rôle crucial de structuration architectonique de l’espace psychique. Un labyrinthe de couloirs, de chambres et de portes dessine des lieux qui ne sont pas faits pour être habités par des corps, mais seulement par la mémoire ; des « espaces du dedans » où rien ne se passe, car rien ne passe. La stratification infinie de ces compositions psychologiques ouvre une scénographie hantée par la mémoire de ce qui furent, un temps, les espaces qui ont hébergé la vie de l’artiste. On se rend compte alors que peu importe qu’il s’agisse de paysages, de vues d’intérieurs ou d’objets : toutes ces toiles nous parlent des différentes significations de l’expression « still life ». Pas seulement dans le sens d’une image statique de la vie, mais aussi dans le sens de la vie immobile des choses elles-mêmes ; pas seulement dans le sens de la mort d’une nature ou de quelque chose qui appartient au passé, mais aussi dans le sens de quelque chose qui est encore en vie dans la mémoire.
1 À l’exception de la toile Vespera et du petit personnage qui nous tourne le dos dans Quel Bordel, où le manque de repères proportionnels empêche d’en définir le statut.
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Head image : Installation view, Mamma Andersson: Adieu Maria Magdalena, David Zwirner, Paris, October 16—November 18, 2023 © Mamma Andersson/Artists Rights Society (ARS), New York/Bildupphovsrätt, Sweden. Courtesy the artist and David Zwirner
- Publié dans le numéro : 104
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- Du même auteur : Antoine Donzeaud à la galerie Spiaggia Libera, Le collectif Bones & Clouds à la Galerie Da-End, Et la guêpe entra dans la figue à la Galerie Spiaggia Libera, Anna Tuori chez Suzanne Tarasieve,
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