Marion Verboom à la Galerie Lelong « Da Coda »
Marion Verboom à la Galerie Lelong
« Da Coda »
16 mai > 29 juin 2024
Une grenouille, un lapin, une cage dorée, un escalier qui ne donne sur rien, deux mains sur le côté, deux pieds, des rouages qui se chassent, une lune, une lyre, des embryons, des symboles qui ne disent pas leur nom, des personnages impossibles et assoiffés – tout cela nous accueille à hauteur d’œil, de main, de pas, et tout cela nous dépasse comme le font les totems dans le ciel et les prélèvements millénaires dans la terre. Il s’agit de la toute première exposition personnelle de Marion Verboom à la Galerie Lelong, avenue Matignon, galerie historique créée au lendemain de la Seconde guerre qui représentait en leur temps Joan Miró, Alexander Calder, Marc Chagall, Alberto Giacometti, Eduardo Chillida Antoni Tàpies et Francis Bacon.
Les sculptures de Marion Verboom fonctionnent par superposition, hybridation, par accumulation de matières, de couleurs, de sujets, de récits. Évoquant des carottages invraisemblables, elles portent le nom d’Achronies : le nom d’un temps qui s’absente à lui-même, dont on rencontrerait seulement les sédiments sous le visage des lectures qui nous ont marqué (au bas de l’une d’elles, par exemple, le double portrait de Virginia Woolf et Simone de Beauvoir), ou encore d’une bête, d’une main étrangement crispée, de multiples mécanismes secrets et de serrures fermées. Le titre de l’exposition lui-même nous situe dans ce temps à l’arrêt, en butée : Da coda signifie « la fin », mais c’est aussi et surtout le nom d’un signe en solfège qui remodule, replace, retranche dans la partition la fin d’une période musicale au beau milieu d’une portée.
Ces sculptures s’érigent entre 2,60 et 2,80 mètres de haut et sont formées par l’assemblage de cinq à six tronçons de matériaux différents, comme les fragments d’une même partition : plâtre, résine, aluminium, jesmonite, béton. Les visiteurs sont libres de circuler dans l’espace qu’elles dessinent, de tisser des échos improvisés d’une figure à l’autre, de lire entre les signes au prisme de références multiples et hybridées. À ce sujet, Erik Verhagen, maître de conférences en histoire de l’art invité à la Galerie Lelong pour une conversation avec Marion Verboom à l’occasion du dernier Paris Gallery Weekend, analyse cette hybridation comme un « métissage » des matériaux et des références au cœur de la pratique de l’artiste, qu’il associe à une « culture du sampling et de l’échantillonnage » (Peptapon, monographie de Marion Verboom, éd. Dilecta) propre au post-modernisme. Un regard, des mots qui recontextualisent la pratique de Marion Verboom et lui donnent un site dans l’histoire de l’art à partir duquel on peut mieux observer les connexions établies avec les pratiques qui l’ont précédées au sein de la Galerie Lelong.
Dans le second d’espace d’exposition, situé au fond de la galerie, sont présentées de nouvelles sculptures aux formats plus petits, à la fois plus intimes et domestiques. On y découvre de près des personnages aux poses assises ou allongées, au contact de formes à nouveau hybrides, organismes ou mobiliers qui semblent pouvoir éternellement évoluer. Des personnages qui font corps avec leurs supports, rompant avec l’effet de juxtaposition que l’on pouvait prêter aux totems précédemment rencontrés, qui étaient unis davantage par une harmonie générale des formes nourrie d’échos inattendus et discrets, que par une réelle symbiose des matériaux superposés. Le Gisant, par exemple – que l’on ne soupçonnait pas avant de lire son nom car nous lui prêtions une pose de repos et de rêverie – est un petit personnage de céramique installé sur ce qui ressemble à une méridienne. Son visage est levé vers le ciel, ses bras aussi, joints en un cordon de cristal coloré que l’on retrouve sous son assise comme s’il en était né. Ses jambes aussi sont de cristal, très légèrement écartées de son tronc, juste assez pour introduire chez son spectateur l’ombre d’un soupçon. L’ensemble de ces figures semblent en effet aspirer au repos, mais quelque chose dans leurs attitudes signale toujours une étrange intranquillité.
Dans cette petite assemblée, où l’on reconnaît l’exercice parfois difficile de s’inscrire dans la logique de la galerie, c’est-à-dire de proposer des formats compatibles avec la monstration dans un espace privé et habité ; il nous semble que l’artiste déploie en réalité un plus fort potentiel de narrativité. Ces formats sont en effet plus évocateurs, peut-être parce que plus circonscrits, plus situés, parce que leur dimension nous permet de les saisir en entier.
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Head image : Marion Verboom, Da Coda, 2024, Galerie Lelong & Co. Photo © Nicolas Brasseur.
- Publié dans le numéro : 108
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- Du même auteur : Xavier Veilhan au Frac Pays de la Loire , Caroline Mesquita à la Hab Galerie, Nantes, La grotte de l’amitié à la Maréchalerie, ÉNSA Versailles, Design Sediments à Huidenclub, Rotterdam, Gina Folly à la synagogue de Delme,
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