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Mark Raidpere à l’Espace Croisé

par Mathilde Roman

Les visages de l’altérité dans l’œuvre de Mark Raidpere

 

Remarqué en 2003 avec sa vidéo Ten Men, portrait chargé d’émotions de prisonniers estoniens, Mark Raidpere a depuis développé une œuvre singulière adossée aux expériences de l’intime. Pour son exposition monographique à l’Espace Croisé à Roubaix, il présente une large sélection de ses vidéos, projetées dans un même espace que l’on traverse doucement, happés par la force des visages qui s’étalent sur les murs.

Vue de l'exposition à l'Espace Croisé, Roubaix, 2009. Courtesy Galerie Michel Rein.

Vue de l’exposition à l’Espace Croisé, Roubaix, courtesy galerie Michel Rein, Paris.

Privilégiant des dispositifs de prise de vue sommaires, M. Raidpere a filmé ses parents à plusieurs reprises, interrogeant ses relations à la sphère familiale. Father (2001-2005) est ainsi une promenade silencieuse dans l’appartement de son père qui suit ses gestes, ses habitudes, dans les tonalités rouges du laboratoire photographique installé dans la salle de bain. A distance, sans entrer en dialogue avec son père, M. Raidpere observe les émotions du quotidien. Mais les mouvements de caméra, le choix des bandes sons et le montage traduisent chaque fois l’implication de l’artiste face aux personnes qu’il filme. Avec Shifting Focus (2005), il passe cette fois de l’autre côté de la caméra et s’installe aux côtés de sa mère. Attentif à la mise en scène de leur conversation, il filme le préambule à ce moment, déplaçant quelques objets, repoussant de quelques secondes encore la situation de face-à-face qu’il a provoqué pour parvenir à parler. Mais dans un silence lourd et pesant, le fils ne parvient pas à s’exprimer malgré les sollicitations de la mère. Le sourire initial se crispe et finit par disparaître sous le coup de violents sanglots. L’angoisse et la difficulté à communiquer envahissent la scène, rendant insupportable cette situation de fausse proximité où se révèle un abîme insurmontable entre deux êtres. Sans que l’on sache bien ce qu’il cherche à dire, de la révélation de son homosexualité à sa fragilité face aux défis de son travail artistique, il livre un visage sincère et authentique de la complexité des relations aux autres.

Ses œuvres les plus récentes semblent se détacher de l’univers familial et se risquer vers le monde extérieur. Dans Vekovka (2008), il filme ainsi les fenêtres d’un train arrêté dans une gare russe. Les quais sont envahis de vendeurs d’objets disparates tandis que la bande son livre une conversation entre un russe et un estonien discutant de leurs pays et de la posture de l’immigré. Les questionnements socio-politique qui se dégagent contrastent avec la vacuité des bibelots qui défilent devant les fenêtres, inscrivant ces réflexions dans un quotidien fait de détails anodins. Ce jeu d’opposition se retrouve dans Majesto Mystico, Stockholm-Tallinn (2007), où deux écrans livrent des visions aux antipodes d’une même temporalité: tandis que deux flûtistes jouent un air de film d’horreur dans la quiétude des rues de Stockolhm, un affrontement a lieu entre estoniens et russes à Tallin, que M. Raidpere nous montre à travers des images d’actualité télévisuelle.
Bien que jouissant d’une reconnaissance internationnale, M. Raidpere reste en Estonie, pays tiraillé entre l’Europe et la Russie. L’artiste semble trouver dans cette situation politique de nombreux échos avec ses propres préoccupations sur la complexité psychologique des rapports entre les êtres, et la confrontation de ses différentes vidéos dans une même exposition rend évidente la réflexion commune autour de l’altérité traversant l’ensemble de ses oeuvres, au-delà des registres de l’intime et du collectif qui semblent les dissocier de prime abord.

M. Raidpere a isolé une vidéo dans l’exposition, la projetant dans un réduit adjacent: Andrey (2005) est le portrait d’un serveur de bar de nuit parodiant un strip-tease tout habillé. Nous sommes comme l’artiste pris sous le charme du jeune homme à qui il demande de s’avancer toujours plus près de la caméra, jouant avec lui une relation de séduction captivante, en écho avec celle de Ten Men où le montage se concentre sur les moments où les prisonniers s’asseoient, se penchent vers la caméra ou s’adossent frontalement. L’emprise de l’oeuvre de Mark Raidpere tient énormément à cette importance donnée à la relation qui se tisse par la caméra, brisant les frontières de l’altérité le temps nécessaire pour qu’advienne une image, une rencontre.

Mark Raidpere, 10 avril 12 juillet 2009
www.espacecroise.com


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