Maxime Bichon au CAPC, Bordeaux
Maxime Bichon, La poursuite,
CAPC Musée d’art contemporain, Bordeaux (17.11.2023–05.05.2024).
Commissaire Cédric Fauq
C’est quelque chose de rétinien qui se passe dès que l’on aperçoit au loin la galerie latérale gauche au rez-de chaussé du CAPC. Des appels lumineux, parfois très contrastés forcent nos yeux à faire le point, comme un objectif qui ne trouverait pas sa focale. Le titre de l’exposition : La poursuite, indique bien une notion de recherche en perpétuel mouvement, mais surtout celle d’un procédé théâtral où un projecteur individuel suit les évolutions du comédien.
De la vôtre à la sienne, de la sienne à la vôtre
Dans un premier espace obscur, deux sculptures en forme de demi-lune en miroir, nous regardent comme des grands yeux métalliques. Nous renvoyant à la fois notre image et celle du paysage de l’exposition, From yours to it, from its to yours, semble indiquer un rapport d’altérité. Une demande d’attention nous est faite, équivalente à celle donnée par l’artiste à ses pièces et l’espace qu’elles sont venues façonner.
Pour cette première exposition personnelle au sein d’une institution, Maxime Bichon, prolonge et interroge des gestes mis en place dans ses trois expositions précédentes (1) qui avaient la particularité de prendre place dans des espaces domestiques. Des expositions construites autour de gestes d’attention et de relation aux habitan.t.e.s envisageant la cohabitation entre vie et œuvres. S’interrogeant autant sur les conditions sociales et matérielles d’émergence d’une pratique artistique que sur ce qu’est l’identité de l’espace d’exposition dans laquelle les œuvres se déploient. Le lieu de l’exposition serait donc comme un corps, construit de différentes strates mémorielles.
Au CAPC, Maxime Bichon s’est donc retrouvé à devoir négocier avec l’anonymat et les contraintes du white cube muséal. Négociation qu’il a retournée en proposant des percées dans l’architecture du CAPC, avec par exemple Ohhh ma fenêtre, 2018, pièce consistant au retrait d’une cimaise, faisant ainsi par la vue d’une fenêtre précédemment cachée, entrer la ville et la lumière naturelle dans le musée.
Ce geste de percées, comme des lieux de passage et de mémoire, se retrouvent tout au long de l’exposition par Souffleur, 2023, autre terme emprunté au théâtre. Sortes de fenêtres à ras du mur, chaque souffleur contient la totalité des œuvres des trois expositions précédentes produites par l’artiste à Treignac, Rome et Athènes. Apparaissant dans divers espaces de l’exposition, elles semblent comme tant de boîtes lumineuses jaunes, dans lesquelles quelque chose de passé serait encore en maturation.
Une histoire de boîtes et le lieu secret de l’apprentissage
Le format des boîtes jalonne l’exposition, tant par les Souffleurs, que d’autres séries de sculptures telles que les Peintures grecques, 2023, sculptures reprenant la forme des boîtes contenant les brises vitres dans le métro athénien, mais que les usagers trouvent constamment vides. Cet objet rejoué et accroché à un niveau de regard égal au matériel de sécurité du CAPC, induit une action passée, un possible danger dont on ne connaîtrait pas l’histoire. D’autres boîtes se dévoilent dans les souffleurs, comme des cages-pièges à renard désarmées, nommées par l’artiste Collèges, 2022 ou encore des boîtes d’élevage de papillons habitées par des cocons appelées Écoles, 2021. On croise d’autres formes de pièges tous désarmés et transformés comme des espaces de soin pour des espèces souvent invisibles, comme les papillons et les diverses formes qu’ils prennent au cours de leur métamorphose. C’est une allégorie qui est face à nous, celle de la métamorphose de ces insectes et l’interrogation de l’artiste sur ce qu’est la construction de sa pratique et les différentes étapes et doutes et d’intéractions sociales qui le traversent. Les titres, qui pour la plupart se rapprochent du champ sémantique de l’éducation, comme Homeschooling, 2023 (sculpture à la fois boîte et maison pour papillons laissant d’infimes espaces de sorties métalliques) sont un écho prolongeant les engagements éducatifs développés par Maxime Bichon au sein de la Cheapest University. École indépendante et gratuite, gérée par un groupe à dimension variable d’artistes,où chacun.e avait la possibilité de partager ses savoirs et compétences, comme dans une boîte à outils, enseigner comme on produit des œuvres d’art.
L’artiste en chenille
Un contre espace se forme dans l’exposition, une boîte noire où apparaît The Worst Caterpillar in the World, 2023 premier dessin animé produit par Maxime Bichon qui met en scène une chenille, semblant être à la fois l’alter-ego de l’artiste et le trait d’union avec les pièces présentes dans l’exposition. Cette chenille bloquée à l’état de larve et en attente de devenir chrysalide, développe un long monologue de vingt-cinq minutes. Elle y fait part à la fois de ses doutes et des épreuves qu’elle a dû traverser au début de sa carrière de mangeuse de sous-titres. D’une voix désinvolte mais pleine d’humour, elle évoque son évolution dans un monde fait de mites, de corbeaux, de chrysalides carrées, de la problématique de devenir papillon et du danger d’avoir des ailes, ainsi que des problèmes encourus par sa communauté à cause d’une certaine catégorie d’oiseaux. Chacune des plaintes et affirmations émises par The Worst Caterpillar in the World, peut se révéler à nos oreilles comme un écho de nos réalités sociales quotidiennes. Le texte écrit par Maxime Bichon et édité sous forme de livre (2) par le CAPC, s’inscrit dans une pratique d’écriture de l’artiste qui accompagne chacune de ses expositions en général sous la forme de poèmes et mantras.
Dans le dernier espace baigné de jaune, comme si l’espace était le grand souffleur de l’exposition, prêt à révéler les dernières phrases des secrets, on trouve une maquette de l’atelier de l’artiste comme mise en superposition dans un caisson d’ameublement, la pièce intitulée l’Atelier est son propre rêve, 2023 se trouve en face d’un poster où un étrange masque d’Aladin domine au milieu d’objets de l’atelier, Aladin figure majeure dans la culture populaire de la possibilité de transformation côtoie non loin le poème Someone Someone, 2023 qui défile et rappelle le principe d’altérité.
Someone Someone
In the false dead end
Someone Someone
Many ways out
Someone Someone
Never recovers
Someone Someone
From having been seen
Someone Someone
Windowless house
Someone Someone
From which to escape
Someone Someone
Putting on their masks
Someone Someone
To unveil themselves
1 La fuite et l’enveloppe, Treignac Projet – Treignac, France, 2021 The Magician’s Sleeve, Terzo Fronte – Rome, Italy, 2021. Hôtel des 3 collèges, Terzo Fronte – Athens, Greece, 2022
2 The Worst Caterpillar in the World, Maxime Bichon, Capc musée d’art contemporain de Bordeaux, 2024, 93p. ill. 17 x 12 cm
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Head image : Maxime Bichon, Vue de l’exposition « La poursuite », Capc musée d’art contemporain de Bordeaux, 2024 © Arthur Péquin
- Publié dans le numéro : 107
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- Du même auteur : Aysha E Arar à la galerie sans titre et à Dvir Gallery, Paris,
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