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Melik Ohanian, Points d’intention

par aurelie tiffreau

Constamment connectés, nous recevons des informations et des images que nous analysons en quelques secondes. Cette immersion dans un flux continu modifie notamment notre rapport aux œuvres : nous « consommons » les expositions en passant quelques secondes devant les pièces qui les composent. Melik Ohanian brise cette course temporelle uniforme et invite le spectateur à une expérience discontinue et sensible du temps.

Son exposition à Chelles est composée de sept temps proposant chacun diverses mises en scène de ses œuvres : une pièce est parfois présentée à plusieurs reprises mais selon un accrochage différent. Il ne s’agit cependant pas d’une exposition constituée de sous-expositions comme le révèle le Temps 3 intitulé « Display : none ». Durant sept jours, l’artiste et sept étudiants de l’école des Beaux-Arts de Montpellier investissent les Églises pour mener ensemble un travail de recherche sur l’imaginaire. Pendant cette période, rien n’est donné à voir au public et pourtant ce temps – suspendu pour ceux qui ont pu l’éprouver et inaccessible, donc rêvé, pour les autres – constitue bien un pan de l’exposition. Beaucoup plus court, le Temps 5 s’étendait sur une journée et consistait en une rencontre de l’artiste et du public à la gare de l’Est suivie de la projection du film DAYS au centre d’art.

« Points d’intentions » possède, certes, un format original mais est également pensée comme une œuvre à part entière. Au même titre que la monstration des pièces, la conception, le montage et le site internet de ce projet en font partie intégrante. Ainsi, le Temps 4 donnait à voir pendant quatre jours la fabrication de l’écran de projection du film DAYS. Tout comme avec son Time-Circle qui propose une mise en forme circulaire du calendrier de l’exposition, Melik Ohanian déconstruit la temporalité classique pour la recomposer selon des schémas nouveaux.

Cependant, le travail de l’artiste sur la notion de temporalité va de pair avec une réflexion sur l’espace. Si « Points d’intentions » est éclatée dans le temps, l’exposition « From the Voice to the Hand » (2008) était éclatée dans l’espace puisqu’elle se déroulait en quinze lieux d’Île-de-France tels que l’Abbaye de Maubuisson, le Mac/Val, le Plateau ou encore la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration. C’est ce rapport espace / temps qui est abordé dans DAYS, I See What I Saw and what I will See (2011) : le film a été tourné dans un camp de travailleurs à Sajaa-Sharjah, aux Émirats arabes unis. Dans la journée, Melik Ohanian installait cent mètres de rails de travelling puis filmait deux séquences de quatre minutes environ, en parcourant cette distance de jour et de nuit. Le lendemain, il démontait les rails, les réassemblait cent mètres plus loin et filmait de nouveau. Le montage de ces enregistrements quotidiens a produit au final deux plans séquences, l’un diurne et l’autre nocturne, qui conduisent de l’extérieur à l’intérieur du camp et proposent une déambulation dans un dédale d’allées. Durant la journée, les rues sont calmes, simplement un peu encombrées par des objets, tandis que la nuit les hommes rentrés du travail vaquent à leurs occupations. Le travelling ininterrompu offre une expérience continue de l’espace mais qui prend place dans une temporalité morcelée, marquée par la différenciation des journées. La projection simultanée des deux séquences sur les faces d’un écran situé au point de jonction des églises, confère une dimension fragmentaire – spatiale et temporelle – à l’installation elle-même puisque, pour accéder à l’autre version du film, le spectateur doit emprunter un passage en se baissant. DAYS plonge le spectateur dans un univers hypnotisant où ses habitudes sont bouleversées, un monde dont les règles, repères et temporalités diffèrent des siens : celui des travailleurs du camp. Melik Ohanian parvient avec brio à lier des territoires géographiques (Chelles et Sajaa) par une approche conceptuelle du temps.

Le dernier temps de l’exposition mettra en scène une temporalité à l’échelle infiniment plus petite puisqu’elle sera d’ordre cosmologique. L’artiste recréera, à l’aide de papier découpé et collé sur les vitraux de l’église Sainte-Marie, la voie lactée d’un côté et Andromède de l’autre. Il est scientifiquement prévu que, dans quatre millions d’années, ces galaxies se rencontreront, modifiant ainsi tous les paramètres de gravité entre les planètes. Dans l’église, la lumière qui filtrera par les ouvertures projettera au sol la représentation de ces galaxies qui se déplaceront en suivant la course du soleil et finiront par se rencontrer. La boucle du Time-Circle sera bouclée : en trois mois d’exposition, Melik Ohanian aura conféré à son projet une pluralité de temporalités et aura permis au spectateur d’en faire une expérience quasi phénoménologique, le reconnectant ainsi avec une réalité riche et diversifiée.


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