r e v i e w s

Michaela Sanson-Braun au Carré, Château-Gontier

par Philippe Szechter

Other people’s sunsets
Michaela Sanson-Braun
21.09 — 17.11.2024 

4bis, Château-Gontier 

S’attaquer aux clichés, ceux véhiculés par le consumérisme touristique comme celui de la beauté d’un coucher de soleil propre à susciter le désir amoureux, tel serait le point de départ de cette nouvelle exposition de Michaela Sanson-Braun, intitulée Other people’s sunsets. au centre d’art contemporain de Château-Gontier. L’artiste, formée à la Staatliche Akademie der Bildenden Künste de Stuttgart – sa ville natale – puis à la Slade School of Fine Art de Londres, s’est récemment installée à Nantes. Sa grande prodigalité lui a permis d’enchaîner une série d’expositions en région des Pays de la Loire : à Nantes à la Galerie RDV avec deux expositions personnelles en 2022, puis à l’initiative du FRAC des Pays de la Loire à Ombrée d’Anjou-Pouancé dans L’Atelier Legault en 2022, enfin à l’Abbaye Royale de Fontevraud en 2024 avec Il faut que tu revoies ta copie. Ces expositions portaient déjà en germe ce que nous découvrons au 4bis : un questionnement sur la pertinence de l’acte de produire encore des tableaux alors que tout semble avoir déjà été peint. Ce vertige du peintre, qui sait plus que tout autre, avant de commencer son travail, que la toile blanche est déjà pleine, pleine du pire comme le souligne Deleuze (1) : celui de ne pas parvenir à la nettoyer. Michaela Sanson-Braun nous prouve manifestement le contraire en surjouant la peinture et ses moyens d’exposition dans une adresse hyperbolique aux spectateurs.  

Michaela Sanson-Braun, Trois tentatives de peinture du jardin de M. Chapman d’après une photographie de sa fille, Clare Chapman, 2022. Huile sur toile, 33 x 41 cm (chacun). Photo : Le Carré, centre d’art contemporain d’intérêt national.

Pour y parvenir l’artiste a conçu un parcours labyrinthique à l’intérieur de la salle d’exposition en la fragmentant en couloirs, dont l’un mène nulle part sinon vers une sculpture en plâtre (WC, 2024) suspendue comme une dépouille éclairée par une ampoule blafarde. Pour accentuer la perte de nos repères spatiaux et visuels, de nouvelles cloisons ont été entièrement recouvertes de dix wallpapers réalisés à partir de photographies d’intérieur d’une maison en chantier, celle de l’artiste. En y intégrant des détails d’images de ses propres toiles, ces photomontages, montrant en vue frontale des murs décrépis et de multiples couches de tapisseries aux motifs parfois graffités, nous rappellent la picturalité des œuvres des affichistes du Nouveau Réalisme. Dans un jeu de bascule, les vues en contre-plongée sur les plafonds défoncés nous désorientent encore plus à l’instar des architectures illusionnistes de M. C. Escher. Tout en créant des perspectives nouvelles, ce dispositif en chicanes, qui démultiplie les surfaces de monstration pour accueillir ses tableaux de paysage, s’avère plus que cohérent. Il prend en compte la réalité physique initiale du lieu d’exposition qui garde, encore visibles, les traces de son passé domestique : restes de papier peint, traces et coulures de peinture restées apparentes en haut et en bas des cimaises, carrelage au sol. L’artiste, en redoublant le même principe de cloisons en plaques de plâtre montées sur rails fixés au plafond et laissés visibles en partie par le démontage de certaines dalles du faux-plafond, renforce la mise en abîme du lieu. Elle s’ingénie, de plus, à y cacher quelques tableautins placés en équilibre sur l’armature des suspentes ou au sol entre mur et cloison. La chasse aux trésors peut commencer. 

A gauche, Un deuxième mur de la chambre d’Oscar, détail d’une photo-mur sur cloison, 2024. Au centre, Coucher de soleil aux oiseaux, 2024, huile sur toile, 200 x 160 cm. A droite, Mur de la chambre d’Oscar, détail d’une photo-mur sur cloison, 2024. Photo : Le Carré, centre d’art contemporain d’intérêt national.

Nous percevons rapidement que l’un des enjeux pour l’artiste est de déconstruire le white cube. Alors même que les cimaises d’origine de la salle d’exposition rectangulaire sont restées blanches, un œil attentionné s’apercevra que l’artiste les a recouvertes partiellement d’une épaisse couche de peinture blanche d’un geste pictural expressionniste avant d’y accrocher ses tableaux, jouant la partition peintures sur peinture. Michaela Sanson-Braun cherche à dépasser une pratique picturale qui se réifie en tableau décoratif pour s’engager dans un questionnement sur l’art. Comment ne pas penser à Kurt Schwitters et son Merzbau qui, sur les débris de la guerre, créa une Gesamtkunstwerk (2) ? Mais à la différence de Schwitters, la construction du cadre élargi met en scène la propre pratique picturale de Michaela Sanson Braun qui s’applique à se débarrasser de la notion de style et par conséquent du jugement de goût tout comme probablement de l’écueil de sa propre virtuosité. Car il faut le reconnaître, la peintre est habile ; ses tableaux aux factures hétéroclites le démontrent comme dans la série Trois tentatives de peinture du jardin de M. Chapman d’après une photographie de sa fille, Clare Chapman de 2022 qui emprunte des styles picturaux différents jouant sur l’épaisseur de la pâte et du geste. Avec le Décor avec coucher de soleil en cinq morceaux de 2024, la finesse de la couche picturale et les dégradés sont au service d’un jeu illusionniste de tableaux dans le tableau dont le ciel nuageux, dans sa partie supérieure construite en symétrie verticale, fonctionne comme un test de Rorschach qui n’est pas sans rappeler les peintures surréalistes d’un Dali. Compliquant notre critique, le raté est aussi convoqué avec Coucher de soleil aux oiseaux de 2024. Le motif du soleil couchant sélectionné par l’artiste dans l’océan des images du web est attaqué sur plusieurs plans, celui du choix d’un cliché photographique foireux traité par le non-fini laissé visible par la présence de coulures et celui de la toile même, victime de percements rageurs qui achèvent le tableau comme pour mieux souligner que la peintre n’a d’autres choix que d’assassiner la peinture si elle veut la perpétuer. Michaela Sanson-Braun ne veut pas voir ce qu’il y aurait derrière la toile en la perçant comme le cherchait Lucio Fontana, mais affirmer -non sans humour, voire avec ironie- par son geste iconoclaste que les trous peuvent devenir des mouettes non figurées sur le tableau. Elle pousse le bouchon encore plus loin, comme aimait le faire son compatriote Martin Kippenberger qui se refusait à adopter un style identifiable. Avec Coucher de soleil avec knacki et concombre de 2022, ce petit tableau de paysage exhibe à l’extérieur de la toile les outils du peintre, à savoir une saucisse de Francfort et un cornichon recouverts de peinture. Le coucher de soleil n’est-il pas l’apanage de la peinture alimentaire ? Le cornichon comme métaphore du regardeur qui, nous le savons depuis Duchamp, fait le tableau ? 

Michaela Sanson-Braun, Coucher de soleil peint avec knacki et concombre, 2022. Huile sur toile et polyuréthane, 24 x 30 cm. Photo : Le Carré, centre d’art contemporain d’intérêt national.

Avec Michaela Sanson-Braun la peinture est pleine d’illusions au sens propre comme au figuré qu’il faut combattre. En poussant les murs, en crevant le plafond, en abattant les frontières, en s’appropriant tous les styles dans une joie indicible, en faisant sauter les barrières de l’intimité de sa maison, l’artiste porte en filigrane une revendication féministe : s’émanciper de l’histoire de la peinture emprunte de machisme.  

Michaela Sanson-Braun, Décor avec coucher de soleil en cinq morceaux, 2024. Huile sur toile, 210 x 260 cm. Photo : Le Carré, centre d’art contemporain d’intérêt national.

1. Gilles Deleuze, Cours de Vincennes – St Denis du 07/04/1981 
2. Œuvre d’art totale 

Le 4bis est une extension provisoire du centre d’art contemporain de Château-Gontier.


Head image : Vue de l’exposition Other people’s sunsets, Michaela Sanson-Braun au 4bis, Château-Gontier, 2024.


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