r e v i e w s

Monica Bonvicini à Carquefou

par cedric schonwald

 

Partie de plaisir à Carquefou

Il a beaucoup été question, à propos de l’œuvre de Monica Bonvicini, de sa façon de s’attaquer frontalement au pouvoir phallocratique et plus spécifiquement à l’autorité de l’architecture en général et au machisme de certains architectes modernistes en particulier. Souvent, en effet, dans le travail de l’artiste italienne, le corps s’engage physiquement contre les murs, contre le bâti. Ce rapport conflictuel met parfois en scène la destruction. On connaît bien la vidéo[i] où une main de femme détruit un mur à la masse ou ces autres vidéos[ii] dans lesquelles une femme nue se jette à corps perdu contre un coin de mur ou encore mime un acte sexuel avec le mur. À la Biennale de Venise de 2005, l’artiste opère l’un de ses retours critiques sur ses premières influences minimalistes en dirigeant le chantier de destruction d’un immense volume cubique en béton[iii]. Dans Plastered (1998), ce sont cette fois les visiteurs qui sont immanquablement amenés à détruire l’œuvre (un sol constitué de dalles de Placoplâtre) en la foulant de ses pas. Il est par ailleurs fait état de l’appartenance de l’artiste à la communauté S/M dont dériveraient nombre de ses œuvres. Effectivement, plusieurs installations de Bonvicini délimitent (à grand renfort de chaînes métalliques et de harnais suspendus) de possibles terrains de jeux érotiques, du moins renvoient à un univers formel constitué et codifié. Bonvicini évoque elle-même volontiers son rapport critique à l’architecture (à la suite de Gordon Matta-Clark ou de Rachel Whiteread) et son intérêt pour les questions de genre (gender). Son féminisme constitue un prédicat et son sadomasochisme est traité par l’artiste et par ses commentateurs comme un fait qui se passerait de commentaires.

vue de l'exposition au Frac des Pays de la Loire

vue de l’exposition au Frac des Pays de la Loire

Les six pièces de Bonvicini exposées au Frac Pays de la Loire constituent pourtant selon nous une scène qui soumet le public à une relation S/M soft dominée par l’artiste. Depuis la guerre des sexes des années 1980 aux États-Unis, les féministes mainstream frappent d’ostracisme les sadomasochistes (notamment les lesbiennes sadomasochistes), du fait qu’elles ne feraient que reproduire des schémas de domination décrié par le féminisme. Cette domination moraliste faisait fi de la spécificité de la morale S/M qui consiste non seulement à érotiser les relations de pouvoir en les jouant (ce qui n’est pas les reconduire), mais aussi à inféoder la relation à un contrat plus ou moins formalisé par lequel deux sujets égaux s’engagent dans un rapport de confiance qui encadre et stimule tout à la fois les jouissances[iv]. À Carquefou, l’on baigne en pleine théâtralité (au sens que Michael Fried a notamment conféré, en le lui reprochant, au minimalisme) : les œuvres s’adressent au spectateur. Mais cette théâtralité ménage aussi une douce relation S/M passant notamment par la jouissance frustrée du visiteur et par son acceptation tacite des règles du jeu.

Not for You (2006), averti déjà de la relation complexe qui s’instaure entre l’artiste par le truchement des œuvres (ses instruments, son attirail) et le public. Les lettres constituées d’ampoules de loges de théâtre formulent cette exclusion en scintillant irrégulièrement un peu comme les enseignes lumineuses d’un parc d’attraction. Bonvicini renforce l’attraction/répulsion en redoublant pour le Frac cette adresse qui exclut l’acteur/spectateur auquel elle est destinée. Piégé entre la version de 2006 et la version miroirique de 2009, le visiteur se voit à la fois désigné, séduit, exclu et réfléchi en une sorte de relation impossible (avec l’œuvre et le locuteur invisible) déstabilisante. Auparavant, il a été accueilli par un manège de harnais qu’il ne peut qu’observer[v]. Les harnais de chantier sont teints en noir et enduits de latex, le S/M se nourri de l’univers des chantiers. Ce jeu-là ne serait pas pour nous. De même, la hache ceinte de cuir[vi] partage-t-elle la référence au labeur et à de possibles jeux S/M. Le fond de scène est constitué d’un immense tirage d’une vue de repérage[vii] du Pavillon italien des Giardini de Venise en chantier. Un menaçant vaisseau de néons[viii] vient parfaire cette scène très plastique de plaisirs promis à d’autres, mais qui s’adressent aussi d’abord à nous. Pour résumer, l’essentiel (la relation) ne nous est pas dit (une fois le pacte S/M scellé, la bottom ne sait pas nécessairement ce que la top lui réserve…), un attirail sobre, mais précis, constitue à la fois la scène, la panoplie d’instruments et l’exclusion du jeu ou son retard. « Pas pour vous », mais aussi « après »… après le chantier… après l’art… Il s’agit d’apprendre à différer les usages suggérés et de se contenter de la pure contemplation des formes et de la sophistication d’un art qui énonce ses conditions de réception et aménage le pacte implicite qui caractérise la relation à l’art.

Monica Bonvicini, au Frac des Pays de la Loire, du 11 juillet au 11 octobre 2009


[i] Hammering Out (an old argument), 1998.

[ii] Hausfrau Swinging, 1997. Wallfuckin’, 1995-1996.

[iii] Minimal Romantik, 2005.

[iv] Cf. sur ces aspects l’excellent ouvrage de Lynda Hart, La Performance sadomasochiste, Entre corps et chair, 1998, tr. fr. Paris, Epel, 2003.

[v] Identify Protection, 2006.

[vi] Leather Axe, 2009.

[vii] Padiglione Italia 2005, 2009.

[viii] Lichtkanone, 2008-2009.


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