Mrzyk & Moriceau au MRAC Occitanie
Mrzyk & Moriceau / Meilleurs vœux de la Jamaïque
MRAC Occitanie
15 avril – 24 sept. 2023
Avant d’aborder plus en détail la dernière exposition de Mrzyk & Moriceau, s’arrêter brièvement sur ce que nous révèle l’artiste Guillaume Pinard, le mercredi 30 avril 2014 : le dessin serait apparu sur la Terre consécutivement à la chute d’une météorite à proximité d’Arborville en Californie, sous la forme d’une masse gélatineuse rose et informe surnommée le Blob1. Très vite, l’hostilité du dessin dérouta, et en dévorant systématiquement toutes les matières organiques croisées sur son chemin et en se développant – au fil de ses festins – à une vitesse phénoménale, il hypothéqua la survie de l’espèce humaine sur la Terre. Par chance, il avait un point faible, le froid, et fut vite consigné au congélo. Mais il paraît qu’un révérend père aurait gardé un fragment du dessin sous sa forme vive, attendant un message divin avant de mettre le monde à l’épreuve de son jugement dernier. Et Guillaume Pinard de poser la question suivante : « Où est passé ce foutu révérend ?2 »
En visitant l’exposition de Mrzyk & Moriceau au Mrac de Sérignan, c’est la force de l’évidence qui frappe : ce foutu révérend a relâché le frétillant fragment au rez-de-chaussée du musée, où le public s’immerge dans 400 m2 d’une profusion graphique inégalée dans la carrière de ces artistes, qui pourtant ne nous ont jamais habitués à l’épure méditative3. Près de six cents dessins défilent aux murs dans un scroll horizontal qui montre l’infinie vitalité de leur trait, l’étrangeté de leur imaginaire et la persévérance obsessionnelle de certains motifs. Émouvant de contempler ces vingt années de recherches graphiques, très simplement offertes sous forme de feuilles punaisées à touche-touche, une vie passée dans les plis des lignes, à capter leur élan, leur souplesse, leur séduction. Précisément par la qualité de ce tracé, leurs thèmes récurrents sont perpétuellement revivifiés : les jeux d’échelle carolliens, les corps fragmentés, les objets anthropomorphisés. Un érotisme partout latent, le dessin assouvissant moult fantasmes d’hybridation, où tout mute et s’interpénètre. Pas mal de systèmes ordonnés qui se désordonnent, de formes molles qui se palpent et s’amassent, d’allusions à peine voilées à la fugacité de la vie, que l’utilisation du noir et blanc renforce.
Étrangement, on pense à la conception classique des retables : ces deux longs murs de dessins illustrent la valeur symbolique du noir et blanc dans l’œuvre de Mrzyk & Moriceau, presque une sorte d’ascèse de la composition ; comme les portes extérieures des retables, décorées en grisaille, qui laissent apparaître lorsqu’on les ouvre, une décharge intense de couleurs. Au centre de la salle du Mrac, c’est un immense polyptyque découpé à la scie sauteuse qui part à l’assaut de la couleur et de l’espace : un labyrinthe de teintes pop est créé par de multiples paravents peints. Ils structurent la progression du visiteur autant qu’ils lui font parfois obstacle, l’invitent à des jeux de cache-cache ou de visions traversantes, au gré des ajours ménagés sur certaines surfaces. Pour les lignes élastiques et la palette bubblegum, on pense à Friz Freleng, premier animateur de la Panthère rose ; ou à Heinz Edelmann, directeur artistique du clip « Yellow Submarine ». Des céramiques prolongent avec virtuosité le répertoire de formes de Mrzyk & Moriceau et leurs thèmes favoris, parmi lesquels la pratique du monde à l’envers, qui chamboule les rapports entre les humains et les animaux, à la façon de certaines scènes de Jérôme Bosch ou de Gary Larson. Au détour d’un paravent, quel plaisir de découvrir ce dodu lombric qui consulte son iPhone, ou ces moules tout aussi dodues qui tirent sur leur clope. Au fin fond de l’exposition touffue comme une jungle, un dessin animé, « Dans les bras de morphing », raconte la jouissance dans la métamorphose incessante des lignes – métamorphose ou altération qui est au cœur de l’esthétique de Mrzyk & Moriceau : l’histoire d’un mouvement qui s’éprend de lui-même tout en emportant dans son orbite les vestiges rationnels d’un monde trop figé.
Lorsqu’on veut refaire le chemin vers la sortie, on se confronte à un théâtre d’ombres, car l’envers de ces paravents flamboyants apparaît uniformément noir. Plongées dans la nuit, les silhouettes se font plus énigmatiques, et soulignent à quel point l’ensemble de l’œuvre affectionne l’inquiétante étrangeté et les passages du côté obscur. Attention au Blob.
1 – Le Blob est un film d’horreur américain de Chuck Russell sorti en 1988.
2 – Guillaume Pinard, La forme vive du révérend, publié initialement sur son ancien blog, Un art sans destinataire, puis publié dans la revue Rouge Gorge en novembre 2014.
3 – Cf. la traversée psychédélique du Portique lors de leur exposition Never dream of dying, en 2020, au Havre.
P.-S. : Comme il est toujours compliqué de baptiser les choses, Mrzyk & Moriceau ont trouvé l’idée maline de ponctionner méthodiquement les titres de romans de James Bond, cela tombe bien puisqu’il y en a plus de quatre-vingts, ils peuvent tranquillement voir venir. À noter que ces titres abordent des thèmes récurrents, classés par ordre d’importance de la manière qui suit : la mort, l’amour, les ennemis, et les lieux traversés ; c’est dans cette catégorie que rentre Meilleurs vœux de la Jamaïque, le titre de cette exposition, en anglais Octopussy and The Living Daylights, soit rien à voir avec la traduction française, qui est le quatorzième et dernier titre de l’auteur Ian Fleming à mettre en scène le personnage de James Bond.
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Head image : « Meilleurs vœux de la Jamaïque », vue de l’exposition de Mrzyk & Moriceau au Mrac Occitanie, Sérignan, 2023. Photo : Aurélien Mole.
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