r e v i e w s

Nina Childress, Requiem du string

par Marianne Derrien

La Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, 2.07_28.08.2016

Cathartique, osé et enjoué, le « Requiem du string » de Nina Childress à la Chapelle du Genêteil ne sonne pas le glas. Au contraire, cette élégie surprenante et culottée célèbre la puissance de la peinture et sacralise tant le rapport au nu qu’à ses représentations. Artiste franco-américaine née en 1961, Childress exhibe à nouveau son indéfectible croyance en les images sources — alpha et omega de sa peinture. Convoquant la dimension spirituelle et religieuse du lieu d’exposition, ce requiem d’un nouveau genre se destine à honorer et à commémorer un petit morceau de tissu. Maîtresse de cérémonie, Childress propose une exposition en vis-à-vis de celle conçue pour le Parvis à Tarbes au printemps 2016, les deux ayant pour point commun une réponse contextuelle au lieu qui les accueille : très ordonnée au Parvis, l’exposition est ici une exploration désordonnée et chaotique, contrepoint puissant à l’architecture de la chapelle.

On retrouve ici les péchés mignons de Childress : l’interprétation multiple d’une même image passée en peinture, les rapports entre le corps et la source photographique sabordée. Interrogeant le tableau comme élément décoratif, elle aime faire usage de ces détournements visuels pour que les contraires s’attirent et se repoussent. « Je suis une névrosée du double tableau, j’ai toujours envie de le faire par deux même si cela rate parfois » précise-t-elle. Sa peinture, aux tonalités discordantes, déraille, dérange ou séduit. Dans un premier temps, elle élabore une version qu’elle nomme good, à savoir fidèle au document photographique à partir duquel elle travaille. Puis elle conçoit une version dite bad, faite de déformations, de grossièretés, de coulures ou d’amas de pâte colorée. Par des agrandissements et des redoublements, Childress cherche à dérégler et à perturber notre lecture. En pervertissant l’image par la peinture, elle la détourne, l’agence, la recompose, la repense. Ce jeu des erreurs affirme son plaisir de transformer, de trafiquer et de transférer l’image en bonne et mauvaise peinture. Illuminée par une série de petits et moyens formats inspirés de nudies, films naturistes amateurs tournés dans les années soixante aux États-Unis, la Chapelle est ici envahie de scènes légères dans un technicolor délavé donnant à voir la volupté des corps dans un camp nudiste, un modèle dans l’atelier d’un artiste ou la danse d’une stripteaseuse de cabaret. Réinterprétant des œuvres comme on rejoue des morceaux de musique, Childress réintègre dans cette exposition sa sculpture La Barre noire (2009), à la fois stèle funéraire et forme abstraite aux potentiels fictionnels.

« Obscur objet du désir », le string modèle et maintient les corps tant libérés que contraints. Du vêtement au revêtement, du textile au pictural, la dimension charnelle et désirable de l’exposition annonce sa mise à nu complète de part et d’autre de la Chapelle. Car Childress déshabille sa peinture en laissant se dévoiler l’arrière de ses tableaux, certains placés sur des tiges, d’autres sur des socles, la version good cachant la version bad. Le dévoilement des corps et du médium s’orchestre simultanément et questionne tant un fétichisme qu’un voyeurisme aux multiples facettes. Dans ce double jeu entre ordre et chaos, Childress dynamise et scande sa peinture par une scénographie sens dessus dessous qui montre sa face cachée. Puisque « l’espace interfère toujours avec la peinture[1] » pour Childress, cette exposition aux allures d’atelier en chantier totalement foutraque célèbre une cérémonie du discordant, du bricolé et du bancal. Le déséquilibre y règne en maître : du plafond, de grandes bandes de couleur verte dégringolent. Des plaques de plâtre hydrofuges sont placées tant pour (sou-)tenir la peinture que pour la court-circuiter. Instable, erratique, sensuel, inspiré, fougueux, ce dispositif scénographique prolonge les peintures dans l’architecture ou les en décale. Ce carambolage original de tableaux sur châssis et blocs ou sur podiums et planches brutes redouble la dimension spectaculaire et modulaire de sa peinture. Chaque œuvre manifeste une présence spécifique, celle d’un corps figé comme dans un décor de cinéma. Childress affirme la force et la virulence de sa mise en scène permettant à ses tableaux de tenir, de poser littéralement. Par l’enchevêtrement quasiment baroque, elle « installe » sa peinture en se confrontant à l’ordre de cette architecture historique et de son autorité.

Du Pop Art à la peinture classique, du clair-obscur aux jeux d’apparition, du cinéma au photographique, sa gamme chromatique demeure criarde, flashy et explosive. Un jaillissement de couleurs, de teintes très vives, s’incarne dans des corps de femmes aux peaux jaunies et aux tétons rouge-orange. Childress prêche pour ces tonalités tant fluorescentes et chatoyantes que morbides. Des fantômes semblent parfois habiter ses peintures. Faite de danses orgiaques et macabres, cette célébration prend des accents de sacrilège hédoniste par le grain vintage ou la nostalgie technicolor qui obsède l’artiste. Sa peinture, dionysiaque et païenne, excite tous nos sens tant par la réappropriation des images que par leurs réminiscences et leurs déperditions. Face à son besoin incessant d’expérimenter et d’explorer la peinture, Childress décoince et émoustille avec l’énergie punk et survoltée de sa palette. Sacrement blasphématoire sans l’être, la luxure, péché du plaisir obsessionnel, trône au cœur de cette chapelle aux fausses madones désormais libérées, libertines, sexualisées et spectrales. Entre mort et désir, entre Eros et Thanatos, la destruction ajoute de l’existence. C’est en la sapant que Childress révèle la peinture pour heureuse et ultime vocation.

[1] « Une artiste peut en cacher une autre », entretien par Claire Moulène paru dans Les Inrockuptibles le 18 février 2015, p.64-65.

Photos : Marc Domage.

  • Publié dans le numéro : 79
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