O! Watt up, de Watteau et du Théâtre
Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, 18.05 – 23.07.2017
Antoine Watteau aurait certainement pu être un artiste actuel exemplaire. Décédé jeune, particulièrement prolifique – on décomptait environ deux cents tableaux à sa mort à l’âge de 37 ans – et mélancolique, il sut marquer ses contemporains de façon à ce qu’ils dressent de lui un portrait canonique du peintre poète. Son marchand dit de lui qu’il était « inquiet et changeant », « libertin d’esprit mais sage de mœurs », « bon, mais difficile », « toujours mécontent de lui-même et des autres » : il n’hésitait pas à effacer des peintures achevées dont il n’était pas amplement satisfait. Être marginal et admiré, il était dépeint par son laudateur biographe le comte de Caylus comme un être « sombre, mélancolique comme le sont tous les atrabilaires ».
Rien ne semble guère le rapprocher jusqu’ici de la génération actuelle de peintres, Watteau n’étant pas forcément une référence majeure de l’art ancien comme peuvent l’être par exemple Piero della Francesca ou Francisco de Zurbarán. Pourtant, ses mystérieuses fêtes galantes, mettant en scène de jeunes adultes au bord d’eux-mêmes, dans une séduction faite de mots doux susurrés et d’approches gauches, ont de quoi faire écho aux recherches de nombreux artistes d’aujourd’hui.
La Maison d’art Bernard Anthonioz avait une bonne raison de proposer une exposition dédiée à l’influence de Watteau et de son iconographie sur la peinture actuelle. Replaçons le décor, quasi vaudevillesque. En 1721, l’artiste décède à Nogent-sur-Marne, dans les bras de son marchand Gersaint selon le récit apocryphe wattien, et est enterré dans l’église de la ville. Moins de deux cents ans plus tard, deux sœurs nogentaises qui possèdent un magnifique parc en centre ville dont les alentours ne manquent de faire penser à certains tableaux du peintre, proclament avoir les preuves que ce dernier est décédé au sein de leur domaine. Leur affabulation, fort bien préparée avec la complicité du mari historien d’art de l’une d’elles, maquille le fait qu’elles refusent que la ville perce un boulevard au milieu de leur parc. Toujours est-il que malgré le fait que Watteau n’y a certainement jamais mis les pieds, ce dernier n’est pas amputé mais classé et ouvre aujourd’hui une perspective verdoyante depuis le centre d’art – l’ancienne maison d’une des sœurs. Le prétexte était trop beau pour ne pas en faire une exposition, sans doute aussi capillotractée que l’imposture des sœurs Smith. On veut même bien lui pardonner son titre, possiblement déplaisant.
L’exposition s’ouvre justement avec un petit dessin à la sanguine de Watteau, dépeignant apparemment quatre comédiens devant un décor, lequel donne le ton : c’est plutôt sous l’angle du rapport au théâtre que l’ensemble des œuvres présentées sera envisagé. Il y a en effet dans celles-ci un certain nombre de clins d’œil à cet univers, qu’il s’agisse du paravent d’Anne Laure Sacriste ou de ses papiers découpés qui renvoient au théâtre d’ombres, ou encore de la mise en scène d’Anne Brégeaut qui prolifère sur le mur environnant, des maquettes en plâtre peintes par Maude Maris ou des reliefs strassés et perlés d’Emmanuelle Villard. Les toiles du Canadien Kris Knight sont peut-être les plus didactiques, et accompagnent le motif wattien avec une préciosité toutefois non mignarde. Son Performer (2016) rappelle nécessairement le « Gilles » bien connu, mais ce sont surtout les tonalités rosées du décor de théâtre qui lui sert de fond, sur lequel ses habits blancs se détachent, qui lui apportent cette aura brumeuse de coucher de soleil que l’on connaît du peintre français. Knight ajoute également au thème du personnage mis à l’écart, incarné jusque là par le classique Pierrot, une ambiguïté genrée, mais l’air hagard de ce dernier et son nez rougi ont été remplacés par un regard plus affirmé et une posture d’offrande tout à fait nouvelle.
Une des œuvres les plus réussies de l’exposition n’est paradoxalement pas une peinture mais plutôt une proposition délicate prenant la forme d’un texte et de confettis colorés que l’on retrouve constellant tous les espaces, longeant les plinthes ou déposés devant les toiles de ses confrères et consœurs. Patrick Corillon, dont la relation au théâtre s’était déjà développée dans ses séries autour du fictionnel Oskar Serti avant de trouver un accomplissement dans ses récentes mises en scène, engage le spectateur dans une chimère poétique qu’il foule pourtant de ses pieds bien réels. Certains tableaux (particulièrement rayonnants), explique Corillon, sont « nimbés d’un nuage de minuscules poussières colorées », lesquelles viennent recouvrir les amateurs d’art qui, en les évoquant auprès de leurs amis, ne cessent de les répandre autour d’eux. Dans sa générosité, l’artiste belge a fait germer ces paillettes d’art de toutes les peintures de l’exposition. Se réappropriant un récit imaginaire, tout comme celui qui est à l’origine de « Ô ! Watt up », il permet une lecture mélodieuse de l’ensemble, réunissant les voix discordantes et complémentaires des tableaux réunis sous l’égide d’Antoine Watteau, jeune peintre terriblement contemporain.
Image en une : Kris Knight, The Performer, 2016. Huile sur toile. (détail).
- Publié dans le numéro : 83
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- Du même auteur : Syncopes et Extases. Vertiges du Temps, At the Gates, Résonance, Valérie Mréjen, Clarisse Hahn,
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