Odyssea Acte I : Le Chant des sirènes
Odyssea Acte I : Le Chant des sirènes
Commissariat : Spiaggia libera & Scroll galerie
1 plateau de Malmousque, Marseille
du 28 août au 1er septembre
Comme chaque année à la fin de l’été, Art-o-rama marquait le début de la saison de l’art contemporain à Marseille. En parallèle de la foire, de nombreuses expositions ont été organisées, jalonnant le parcours culturel de la ville.
C’est le cas de l’exposition Odyssea – Le chant des sirènes, présentée par la galerie Spiaggia Libera (1) en partenariat avec Scroll Galerie (2) et réunissant plus d’une dizaine d’artistes. La proposition explore la figure mythologique de la sirène et ses résonances contemporaines dans le cadre particulier et pittoresque du quartier de Malmousque, face à la mer et aux roches calcaires emblématiques de la ville. Cette connexion implacable avec l’environnement marin ajoute une dimension visuelle spectaculaire et symbolique à la thématique assumée d’Odyssea.
Traditionnellement vues comme des créatures séduisantes et dangereuses, les sirènes ont été perçues comme des figures de séduction et de menace, illustrant souvent la crainte patriarcale de la féminité puissante et incontrôlable. Odyssea revisite cette image en adoptant un prisme féministe, déconstruisant les stéréotypes pour offrir une lecture ancrée dans les problématiques de résistance et de réappropriation. S’engouffrant dans les profondeurs aquatiques et les thématiques spéculaires auxquelles la sirène invite, l’exposition développe un univers tout en nuances autour des mystères des fonds marins, de la psyché et de la connaissance de soi.
Les sculptures de Nina Boughanim, composées de fragments d’objets récupérés, de rebuts maritimes et de chaînes rouillées, génèrent des créatures hybrides s’assemblant grâce au liant sensible qu’est le verre, venant contraindre une association donnant à voir vulnérabilité et transparence. C’est le cas aussi des sculptures en verre soufflé de Charlotte Gautier van Tour, Les Gestantes. Abstractions organiques rappelant des objets votifs, les œuvres accueillent des liquides prélevés dans les Salins et réunissent des microcosmes faits de sel et d’un vivant s’appropriant l’espace.
Marilou Poncin, aussi présente au sein d’Art-o-rama avec Spiaggia Libera et l’installation immersive « Sunburn and Moonlight », propose ici des coquillages en céramique qui dévoilent des figures féminines émergeant d’un univers technologique. Ses œuvres évoquent féminité et force, en mêlant vernaculaire et science-fiction. Claire Bouffay, quant à elle, s’inspire des légendes occitanes pour explorer la transformation des figures féminines aquatiques surnaturelles en saintes chrétiennes, illustrant dès lors l’effacement des croyances païennes par le christianisme.
Surplombant la salle du rez-de-chaussée, l’œuvre de Michele Gabriele rend hommage à Marco Colombaioni, un artiste italien qui a perdu la vie en sauvant des jeunes Kényans en mer Méditerranée. Cette sculpture représente une figure blessée, mi-aquatique, mi-humaine, et souligne la dualité entre l’humain et le surnaturel, le prévisible et l’accidentel, l’héroïsme et le dramatique. La tragédie personnelle informe ainsi une œuvre autour du sacrifice et de la résilience.
Hyewon Mia Lee examine la notion de résonance en assemblant des éléments de tableaux comme des os, rendant visible le corps d’Écho, autre figure mythologique, évoquant le son qui se réverbère à travers un réseau d’images connectées entre elles. Autour d’une installation représentant l’anatomie des hanches, l’artiste prolonge l’exploration des symboles féminins.
L’exposition se distingue également par sa célébration de la fluidité et de l’hybridité. La sirène, mi-femme, mi-poisson, devient ici une métaphore puissante sur l’identité. Brandon Gercara et Ugo Waotzi, avec leur série Majik Kwir, mettent en scène des personnages queer dotés de super-pouvoirs pour fonder une histoire alternative, contrefactuelle : une histoire des possibles visant à renouveler des narrations historiques excluantes et discriminantes. Cette vision utopique et militante exalte alors la diversité et la résistance des identités fluides. Cette notion est également explorée dans l’installation de Talita Otović, I’m not drowning I’m waiting in the water, où les chants des sirènes sont déformés pour symboliser l’instabilité et l’évolution constante des identités humaines.
Le cadre marseillais de Malmousque et la maison insolite où elle prend place ajoutent une dimension supplémentaire à l’exposition, même si l’accès peut s’avérer problématique. Sa connexion intime avec la Méditerranée amplifie la résonance de chaque œuvre, telle l’installation de Jean-Baptiste Janisset. Produite par la Scroll galerie spécialement pour l’occasion, Prediction in Malmousque réinterprète des mythes locaux et invite à découvrir des réalités parallèles où les frontières entre les identités sont floues et les règles de la perception traditionnelles sont suspendues. Vidéo co-conçue avec François Gouret et sertie par un cadre de plomb manufacturé qui fonctionne comme un portail vers un univers alternatif, l’œuvre invite à explorer un « alter-monde » fait en réalité augmentée et situé sur l’Île aux Pendus, micro territoire insulaire faisant face à l’exposition.
Matériau phare de l’exposition, la céramique joue un double rôle : elle incarne une réminiscence culturelle et permet une exploration contemporaine. Utilisée par Marilou Poncin, Claire Bouffay, Carole Mousset et Opale Mirman, elle approfondit la notion de métamorphose et d’hybridité, essentielles à l’évocation des sirènes. À la fois fragile et durable, elle établit un lien entre les mythes marins et les récits modernes de résistance et d’émancipation. Elle évoque aussi des traditions anciennes et des pratiques artisanales liées à l’art maritime, son processus de fabrication devenant dès lors métaphore de transformation. Les œuvres font écho aux artefacts historiques trouvés dans les sites archéologiques méditerranéens et résonnent avec les racines culturelles et historiques de la région.
Avec : Claire Bouffay, Nina Boughanim, Sol Cattino, Anima Correa, Antoine Donzeaud, Michele Gabriele, Charlotte Gautier van Tour & Jimmy Boury, Brandon Gercara & Ugo Woatzi,Laura Gozlan, Jean-Baptiste Janisset, Hyewon Mia Lee, Romana Londi, Opale Mirman, Carole Mousset, Talita Otović, Marilou Poncin, Valentin Ranger, Chloé Royer, Dela Savelli, Samir Laghouati-Rashwan, Jack Warne
1 Spiaggia Libera, 56 rue du Vertbois, 75003 Paris. https://spiaggia-libera.com/
2 Scroll Galerie, 1 rue des Carmélites, 44000 Nantes https://scroll-galerie.fr/
Head image : Nina Boughanim, exposition Odyssea _ Acte 1 : Le chant des Sirènes, © Scroll galerie & © Spiaggia Libera Paris. Crédit photo : © Gregg Bréhin
- Publié dans le numéro : 109
- Partage : ,
- Du même auteur : Hymne aux murènes, Autour de la résidence Espace-temps organisée par l’Atelier Hyph : Samira Ahmadi Ghotbi & Camille Lemonnier, Monde nouveaux : Qudus Onikeku / The Qdance company, Out of this world, Monde nouveau : Wilfrid Almendra, En attendant le lever du soleil, L’autrice comme productrice : Katia Kameli et ses livres d’images pour réécrire l’Histoire,
articles liés
Lydie Jean-Dit-Pannel
par Pauline Lisowski
Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica
par Patrice Joly
GESTE Paris
par Gabriela Anco