Oliver Laric au Musée de la Romanité
Oliver Laric, « Mémoire Vive »
Musée de la Romanité, Nîmes
8 juillet au 31 août 2023
Il s’agit d’une première pour le musée de la Romanité qui s’essayait à l’exercice d’inviter un artiste contemporain à venir dialoguer avec les sculptures issues de l’antiquité gréco-romaine qui composent le fonds de la structure nîmoise. Le projet a pris place à l’occasion de l’anniversaire de la création du Carré d’art, le musée d’art contemporain de la préfecture du Gard dont on fête cette année les 30 ans. L’artiste a été choisi par le directeur du Carré d’art, Jean-Marc Prévost, tandis que le commissariat était réalisé en interne par le conservateur, Nicolas de Larquier, assisté de la chercheuse Cécile Carrier qui officie au sein du musée archéologique.
Le choix d’Oliver Laric pour réaliser cette première a tous les airs d’une évidence tant le travail du Berlinois semblait fait pour une telle initiative. L’artiste avoue que cette invitation l’a ravi, lui pour qui ce genre de projet représente la possibilité de puiser dans le fonds d’un musée comme celui de Nîmes, afin de sélectionner des sculptures antiques qui pourront faire l’objet d’une intervention de sa part, un travail en direct, en quelque sorte. En l’occurrence, laissé libre de se procurer des modèles à même le riche fonds nîmois, l’artiste a délibérément axé son choix sur des sculptures antiques où l’animal, principalement le chien, est particulièrement présent. Ce choix de l’artiste s’explique notamment par une prise en considération de l’animal qu’il entend remettre au centre de préoccupations sociétales via ses prises de position artistiques, dans le sillage de réflexions de la philosophe Donna Haraway dont le Manifeste des espèces compagnes a contribué à porter un nouveau regard sur la cause animale. L’artiste a notamment choisi des œuvres où l’animal est pris dans des postures de jeu, voire d’une certaine « complicité », plutôt que dans celles de travail ou de subordination, témoignant de fait de ce très ancien compagnonnage entre l’homme et le chien et même d’une position privilégiée, comme celle de la tradition égyptienne où le dieu Anubis est représenté sous la forme hybride d’un corps humain avec une tête de chien.
Oliver Laric fait partie de ces artistes que l’on a qualifiés de post-Internet dans les années 2010 et dont la pratique fait largement appel aux techniques de reproduction les plus élaborées et notamment l’impression 3D dont il fait ici encore un large usage. L’image et ses multiples apparitions, sa mutabilité permanente sont au cœur d’une pratique qui, sous ses aspects a priori d’une facture figurative classique – liée à la production d’artefacts, bien qu’issue de techniques avancées –, ne présente pas moins qu’une forte dimension réflexive sur la destination des images, leur circulation et leur propriété. Le site threedscans.com qu’il a créé dans les années 2010 est un site open source dans lequel l’artiste et les utilisateurs peuvent s’alimenter à leur guise. Cette volonté de contrer les régimes de propriété dominants, mais aussi de mettre en évidence la mutabilité des images, leur appropriation multiple, s’accorde bien avec un travail sur les œuvres issues de l’Antiquité, dont on a beaucoup de mal à retracer l’origine et dont les formes soi-disant abouties et stabilisées recèlent des transformations enfouies. L’hermaphrodite qui nous accueille à l’entrée de l’exposition est emblématique des modifications qu’ont pu subir dans leur histoire des sculptures acquises par des collectionneurs qui, ne souhaitant pas mettre en avant la figure d’un hermaphrodite, pourtant largement célébré dans la Grèce et la Rome antiques, ont préféré supprimer son pénis et l’enfant allaité pour en faire une représentation plus présentable, selon eux. L’artiste a effectué des recherches sur cette sculpture — se basant sur un dessin du British Museum — qui lui ont permis de revenir à la figure originelle grâce à la technique d’impression en 3D. Dès lors, le travail de Laric apparaît autant comme un travail d’élaboration formelle qu’une tentative de restitution d’une vérité historique.
Le travail d’Oliver Laric est fondamentalement une réflexion sur la copie et la réplique, qui ont pris un essor extraordinaire avec les nouvelles techniques de reproduction de l’image et de ses artefacts en 3D. Le dispositif qu’utilise le résident berlinois dans son travail sculptural est résolument récurrent : il scanne dans un premier temps ses modèles issus de la statuaire antique ou néo-classique avant de les répliquer dans de nouvelles matières – résine, aluminium, poudre de marbre –, comme autant de morceaux disparates qu’il assemble ensuite en un patchwork de fragments anatomiques, coquille vide dont il ne cherche pas à dissimuler les « coutures apparentes », au contraire, le spectateur est appelé à faire le tour de ses productions et d’en découvrir l’aspect assemblé. Dans un troisième temps, l’artiste dépose sur son site threedscann.com les fichiers qui seront alors mis à disposition des internautes, bouclant ainsi une boucle allant du numérique au numérique. À Nîmes, le choix de l’artiste, à travers les riches collections du musée, s’est porté sur des sculptures possédant de nombreux manques, membres tronqués, visages amputés, etc., ce qui lui permet d’envisager des possibilités formelles et de spéculer sur ces dernières, avec l’aide de la chercheuse Cécile Carrier, pour envisager des reconstitutions plausibles. La série de l’enfant au chien est remarquable à ce titre puisqu’elle permet d’envisager et de rendre visible une progression dans la recomposition de la forme d’origine de la statue. L’artiste a également travaillé avec des sculpteurs pour élaborer des formes à partir de ses spéculations. Le travail de Laric apparaît de fait comme un véritable travail collectif qui met en œuvre une succession d’auteurs depuis le premier de la chaîne jusqu’à la réélaboration finale, de même qu’une évolution perpétuelle des techniques. Il rebondit donc sur la question de l’auteuricité qui n’a jamais cessé d’être posée au fil de l’histoire et dont l’apport de Laric constitue un nouveau chapitre.
A priori relevant d’un retour sur le passé, le travail de recherche de l’artiste apparaît comme une possibilité étonnante de parler du présent, partant d’œuvres antiques dont la résonance avec des thématiques ultra-contemporaines permet de jeter un regard nouveau sur un passé lointain
______________________________________________________________________________
Head image : Oliver Laric, vue de l’exposition « Mémoire vive » au Musée de la Romanité à Nîmes © photo Olivier Arquès.
- Publié dans le numéro : 104
- Partage : ,
- Du même auteur : Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica, 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac,
articles liés
Lydie Jean-Dit-Pannel
par Pauline Lisowski
Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica
par Patrice Joly
GESTE Paris
par Gabriela Anco