Otobong Nkanga
When Looking Across the Sea, Do You dream?
Villa Arson, Nice, 12.06-19.07.2021
Aux quelques remarques aigries qui ne manqueront pas de se chuchoter à propos de cette grande exposition monographique de l’œuvre d’Otobong Nkanga telles que : « c’est dans l’air du temps », « elle coche toute les cases », etc., rétorquons immédiatement : oui, et alors ? Précisément, tant mieux. Et rentrons dans le vif du sujet.
Jusqu’à présent, les œuvres d’Otobong Nkanga n’avaient été visibles en France qu’au compte-goutte, au sein d’expositions collectives (par exemple, en ce moment même, au FRAC Aquitaine dans « Memoria, récit d’une autre histoire »), où elles révélaient déjà la singularité d’un rapport aux matériaux et d’un point de vue inhabituels pour le public encore ethnocentré que nous sommes. En nous plaçant au beau milieu du travail qu’elle a accompli depuis une bonne dizaine d’années, sans oublier quelques œuvres plus anciennes – notamment une série de dessins préparatoires qui peuvent toutefois être regardés comme des pièces en soi –, l’exposition corrobore la puissance d’un univers artistique qui a beaucoup à nous apprendre, tant il aborde des thèmes familiers – notamment celui de l’exploitation des terres rares –, mais en partant d’un rapport à la technologie distancié, qui le resitue dans la perspective historique d’un temps long.
À l’entrée, une grande photographie, Emptied Remains – Assemblage, de 2010, imprimée sur papier, peut être interprétée comme l’annonce de ce qui va suivre : elle est partie représentant le tout, métonymie sous nos yeux affichée. Elle représente, en une frise, des baraques de couleurs au flanc d’une colline rocheuse, ensemble d’habitats précaires aux limites d’un village bricolé à Curaçao, dans les Antilles, mais sans misérabilisme. Au contraire, elle affiche une fierté dans la frontalité et une douceur dans les couleurs. On pourrait y reconnaitre une architecture de style avant-gardiste, voire une composition abstraite, mais construite empiriquement – chaque pan de mur contenant l’intuition du suivant. Voici sans doute l’une des clés de l’œuvre de l’artiste.
Plus loin dans les salles, des sculptures qui vont du sol au plafond, de vastes installations, côtoient des travaux moins spectaculaires, presque documentaires, comme les éléments rassemblés sur plusieurs tables en bois avec deux sièges, qui invitent le visiteur à s’installer pour prendre le temps de se plonger dans le sujet. Il s’agit d’une œuvre de 2012, Contained Measures of a Kolanut, une sorte d’enquête menée par l’artiste autour de ce fruit au nom célèbre dans la culture occidentale pour être le composant d’une boisson à bulles et pourtant si méconnu en tant que plante : la noix de cola. Le thème et la méthode ne sont pas sans rappeler le film Ananas d’Amos Gitaï (1984), qui convoquait les éléments historiques, politiques et économiques ayant abouti à la mise en boîte du fruit exotique par une multinationale américaine. Dans le même esprit mais en s’exprimant par le biais d’une vidéo intitulée In Poursuit of Bling de 2014 – car Otobong Nkanga passe aisément de médium en médium : photo, vidéo, installation, performance… –, l’artiste s’est intéressée à une autre matière première méconnue : le mica. Dans ce film, ses mains surgissent de l’obscurité pour manipuler des plaques du minéral, à la manière de cartes à jouer ; la matière est ainsi domestiquée. Son visage apparaît ensuite, couvert de paillettes et de maquillage, « à la manière de Diana Ross », dit-elle non sans humour : car oui, la pierre qui provient des temps géologiques s’est trouvée propulsée dans le temps court de notre quotidien le plus fugace et inconsistant – du cosmique au cosmétique. Cette mesure du temps et des valeurs est omniprésente dans l’œuvre d’Otobong Nkanga, qui déclenche la réflexion sans faire cours pour autant..
Au-delà de la présentation de ces médiums variés, il est vrai que l’un des plus grands intérêts de l’exposition réside dans la redécouverte, dans le contexte de l’ensemble de ses œuvres, de ses réalisations les plus connues : ses tapisseries – elles aussi relevant de techniques mixtes, puisqu’aux textiles sont intégrées des photographies, et parfois même des poésies. De plus ou moins grand format, dispersées dans tous les espaces, ces œuvres racontent, par les figures, les formes, les symboles et les couleurs, avec tristesse, colère mais aussi, malgré tout, espoir, la manière dont la nature ne cesse d’être utilisée comme ressource, au détriment de sa beauté. Parmi elles, est présentée The Weight of Scars de 2015, qui dépeint la façon dont l’extraction des minerais défigure les territoires en Namibie. Dans les dernières salles, des tapisseries représentent encore des plantes « exotiques » (entre autres, de nouveau le cola) dans un style descriptif précis, tout en restant délicat.
La sensibilité de l’artiste s’exprime enfin à travers des poésies qui se mêlent à ses œuvres plastiques, tapisseries donc, ou installations, comme dans We Could Be Allies, 2017-2020, où, sur deux pièces de tissu suspendues, on peut lire un poème en vers, dont ces quelques lignes, parfaites pour conclure :
If I connect to you
If I am consumed by you
If I crumble with you
Then what do we call us
What can we become?
Image en une : Otobong Nkanga, Contained Measure of a Kolanut Tales, 2012. Crédits JC Lett / Villa Arson Nice
- Publié dans le numéro : 98
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- Du même auteur : Anna Solal au Frac Occitanie Montpellier, Gontierama à Château-Gontier, Alias au M Museum, Leuven, mountaincutters à La Chaufferie - galerie de la HEAR, Lacan, l’exposition au Centre Pompidou Metz,
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