Parole, Parole
Une exposition du 40e anniversaire du Centre Pompidou, Le Carré, Scène nationale – Centre d’art contemporain du Pays de Château-Gontier, 28.01 — 23.04.2017
C’est un fait assez remarquable en soi que le centre d’art de la Chapelle du Genêteil à Château-Gontier ait été choisi pour participer à la célébration du 40e anniversaire du Centre Pompidou, puisque, il faut le souligner, cette invitation n’a rien d’automatique et que de nombreux centres d’art n’ont pas été retenus pour faire partie de cette grande messe nationale. C’est certainement la teneur, particulièrement originale, de la proposition du responsable des lieux, Bertrand Godot, qui y officie depuis maintenant une vingtaine d’années qui explique cette « qualification », pour emprunter au vocabulaire sportif.
Pour autant cette proposition, « Parole, Parole », n’a rien d’artificiel et s’inscrit complètement dans la lignée d’une programmation tournée principalement vers la jeune scène artistique, mais aussi fortement imprégnée du contexte historique de la chapelle et de son ancrage régional. Bertrand Godot est la même personne qui a mis en place une biennale de la performance à Château-Gontier1 et plus spécifiquement une biennale dédiée à la performance conférencière (ou à la conférence performée ?), une articulation entre deux « disciplines » qui s’actualise à travers des propositions de plasticiens mais aussi de scientifiques, de danseurs, d’historiens d’art, d’astrophysiciens, etc. ; cela va de Gilles Clément à Fanny de Chaillé et de Vinciane Despret à Frédéric Ferrer, puisque le propos de la biennale est d’envisager une multiplicité de formes de paroles, pas seulement celles que l’on envisage d’emblée dans le cadre d’une manifestation d’art contemporain, à savoir happenings, poésie sonore ou autres « verbalisations plasticiennes ». C’est donc en lien avec cette dernière que l’exposition s’est construite, en tenant compte également de la spécificité du lieu qui n’est autre qu’une ancienne chapelle — et Dieu sait combien une chapelle est le lieu de la prise de la parole —, le centre d’art résonne encore des sermons de tous les ministres du culte qui y ont célébré naguère les offices. En ce qui concerne la référence historique — ou peut-être la petite histoire — il n’est pas inutile de rappeler que Claude Pompidou est née à Château-Gontier et que le couple Pompidou s’y est marié, même si cela n’a pas de lien direct avec le propos artistique de la célébration des 40 ans du Centre Pompidou, sauf que la personnalité de l’épouse du 19e président de la République a joué un rôle de premier ordre dans la vie des arts de l’époque et dans la création du centre qui porte son nom : c’est aussi une manière de lui rendre hommage, elle qui en fut la présidente d’honneur, qui fut aussi une grande collectionneuse et qui réussit à faire rentrer des meubles de jeunes designers à l’Élysée, notamment ceux de Pierre Paulin dont on retrouve les fameux fauteuils Langue dans l’exposition de la chapelle.
Le « Parole, Parole » qui fait immédiatement penser à la chanson interprétée par Dalida et Delon, bien que le titre en question s’écrive au pluriel, renvoie à ces infimes modifications de l’écrit qui peuvent engendrer des conséquences énormes sur le plan de la sémantique : pour son commissaire, cette variation sur le titre « est une façon d’introduire la question de l’interprétation sur un mode pop et léger2» mais aussi d’envisager la multiplicité des prises de parole possibles, de la chanson au discours scientifique jusqu’à la parole codifiée des gourous de la communication3. À ce propos la place prise par Albert Einstein, qui ouvre le ban avec une photographie relativement peu connue de lui, illustre bien le propos d’une exposition qui cherche à replacer la portée d’une parole publique, écoutée religieusement en de nombreux endroits mais largement inaudible en bien d’autres : encore une fois, dans ce cliché de Lucien Aignier, le célèbre physicien est portraituré dans une posture qui semble contrevenir à la figure que l’on se fait habituellement du savant, mal fagoté et arborant une expression d’illuminé — nous rappelant cette autre prise de vue ultracélèbre du « génie » (plutôt des Mille et Une Nuits que scientifique) où il nous tire la langue de manière facétieuse. Le fil rouge qui parcourt l’exposition en associant des figures contrastées du savoir à des artistes qui savent s’emparer de la doxa pour mieux la retourner ou s’en gausser, comme le fait magistralement un Éric Duyckaerts dans ses hilarantes performances pseudo-scientifiques, semble être la relativité de tout savoir et le caractère fondamentalement volatil du discours. Enfin, se référant à la pensée d’André Leroi-Gourhan, le commissaire a placé dans l’exposition des pièces séminales de Vito Acconci et de Gérard Collin-Thiébault afin de rappeler l’importance du lien entre corporéité et parole, autre manière de signifier que cette dernière est toujours produite par un corps bien vivant. À l’extrémité de la salle d’exposition, quatre chaises dissemblables au design modeste mais efficace, extraites des collections de Beaubourg, semblent assister à la performance de Duyckaerts : face aux fauteuils de Paulin qui semblaient pour leur part nous inviter à prendre langue, ils symbolisent d’une certaine façon un public modèle, sensible à une parole docte mais parfois dissonante, éclectique et primesautière, libérée et libérante, inspirée mais incarnée.
1 La deuxième édition de la Biennale Circonférences s’est tenue du 9 au 11 mars 2017, au Carré, Scène nationale de Château-Gontier
2 cf. entretien avec Éva Prouteau
3 cf. https://www.zerodeux.fr/reviews/liz-magic-laser/
(Image en une : Vue de l’exposition « Parole, Parole », une exposition du 40e anniversaire du Centre Pompidou, Le Carré, Scène nationale – Centre d’art contemporain du Pays de Château-Gontier. © Marc Domage)
- Publié dans le numéro : 82
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- Du même auteur : Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica, 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac,
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