Penser comme une montagne au Château de Goutelas
Du 7 avril au 17 septembre
Commissariat : Sophie Auger-Grappin
Labellisé Centre culturel de rencontre depuis 2019 autour d’un axe humanisme-droit-création, le Château de Goutelas, à Marcoux, est une demeure renaissance installée à flanc de coteau, entre vallée de parcelles agricoles et forêt. Durant quarante ans, le site s’est essentiellement consacré à l’accueil de randonneurs et autres adeptes du tourisme vert. Son activité d’accueil est aujourd’hui encore élevée, générant cinquante pour cent de ses recettes propres. Le projet scientifique a été rédigé pendant le confinement par Grégory Diguet, nouveau directeur des lieux. Il a d’abord porté sur les questions de l’exil, de l’écologie et de l’état d’urgence. Ces préoccupations contemporaines sont venues progressivement innerver une programmation d’échanges à travers laquelle « s’imagine un avenir souhaitable et solidaire » : conférences, ateliers, expositions, cinéma en plein air, repas partagés, librairie…
L’intérêt de Grégory Diguet pour la philosophie de l’environnement, et la relation que l’homme établit avec le vivant, trouve un écho dans les préoccupations de Sophie Auger-Grappin, directrice du Creux de l’Enfer, qui cherche à déployer sa programmation en d’autres lieux par des propositions hors-les-murs. « Penser comme une montagne » est une exposition qu’elle a imaginé en deux volets et en deux lieux aux singularités complémentaires. Au château de Goutelas, site d’habitation et d’hébergements, les artistes invités présentent, pour la plupart, des œuvres qui portent un même intérêt pour les gestes modestes, rattachés aux activités domestiques.
Le parcours commence dans la cour extérieure du château, avec un écosystème imaginé par Marjolaine Turpin, artiste qui aime travailler sur le temps long en composant avec les caractéristiques humaines et naturelles des lieux. Elle y cultive Les alanguies, un carré potager traversé par des Oyas, arroseurs autonomes écologiques réalisés à partir d’une céramique microporeuse qui permet d’irriguer lentement et naturellement, de distiller l’humidité nécessaire à la vie des plantes. Posées au sol, le long des murs, on trouve aussi des « gargoulettes », récipients en céramique coiffés d’une délicate corolle en verre destinée à recueillir l’eau s’écoulant des gouttières du château. Sarah Laaroussi a quant à elle réalisé une colonne de foin monumentale dans la cage de l’escalier donnant sur le hall d’accueil du château. Cette matière végétale odorante et putrescible oppose son organicité à l’architecture des lieux.
Dans l’ancien salon de musique, Karine Bonneval a disposé de grands champignons en céramique noire où l’on écoute, penchés sur leurs corolles, le son grouillant de différents terreaux qu’elle a prélevés. Particulièrement denses sur les petites parcelles de cultures biologiques, ils tendent à se raréfier sur les terrains de l’agriculture intensive, nous rappelant au monde vivant et souterrain qui fait respirer la terre et se déploie sous nos pieds.
Les films de Jean Baptiste Perret poursuivent ce dialogue entre nature et culture. La passe à poissons, tourné dans les laboratoires du conservatoire national du Saumon sauvage, fait voir différents gestes techniques, et de soin, liés à la reproduction artificielle en pisciculture de saumons de rivière qui ne pourraient survivre autrement. Avec Le quotidien, l’artiste est allé filmer les gestes d’un homme qui a choisi de vivre reclus dans la forêt, dans une cabane construite de ses mains.
Ces œuvres exposées sont autant de pistes pour repenser les usages, imaginer un monde dans lequel la nécessaire relation d’intelligence entre l’homme et les autres formes du vivant est devenue une évidence.
1 Autour des travaux de la juriste Mireille Delmas-Marty, l’épouse de Paul Bouchez. Lors de la réception de labellisation en 2019, il a ainsi repris la terminologie de centre de rencontre humanisme-droit-création.
2 Aujourd’hui propriété de Loire Forez Agglomération. Bâtie en forme de H par Jean Papon, juge de Forez, elle sert notamment de décor au roman L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1567- 1625), qui rencontra un grand succès en son temps. En 1961, le château n’est plus qu’une ruine lorsque Paul Bouchez, alors conseiller d’État, le rachète. Il va faire de Goutelas un levier pour le territoire. La demeure n’a pas été modifiée depuis la restauration des années soixante qui incluait déjà dans son programme les vingt-six chambres doubles et la partie culturelle. Duke Ellington, hôte de marque, séjourna au château en 1966.
3 Le rapprochement des deux institutions passe notamment par la mise en place de navettes qui ont permis de faire un vernissage commun s’apparentant à une traversée des mondes.
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Head image : Karine Bonneval, Ecouter la terre, 12 pièces en grès oxydé, terre, enceintes, 2017
- Publié dans le numéro : 104
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- Du même auteur : Les ateliers d’été du Laboratoire espace cerveau à l'Institut d’art contemporain (IAC), Villeurbanne, Penser comme une montagne au Creux de l'Enfer à Thiers, Penser avec le vivant,
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