Piero Gilardi au CCC de Tours
Près de cinquante ans de carrière. Cinquante ans de lutte, de choix, sans compromissions. Cinquante ans dictés par une seule et même volonté : réunir l’art et la vie. Si cette antienne paraît aujourd’hui galvaudée, elle n’a pourtant jamais été aussi juste que pour qualifier la production de Piero Gilardi : « Au fond, dans mes expériences, on retrouve constamment deux idées – toujours les mêmes – entrelacées et pourtant complémentaires : élargir la créativité et l’entremêler avec les problèmes de la vie 1 ». L’exposition Leçon de choses, qui se tient actuellement au CCC de Tours, est l’occasion de jeter un regard rétrospectif, non pas sur la carrière, mais bien sur la vie de cet artiste italien. Impossible de séparer l’une de l’autre. Sans vouloir jouer les anciens combattants, il est essentiel de revenir aux origines de son travail pour en comprendre la richesse. Piero Gilardi commence à exposer en 1963 et produit ses premiers tapis-nature dès 1965, fragments de paysage réalisés en mousse de polyuréthane. Il est rapidement repéré par plusieurs critiques influents, au premier rang desquels Germano Celant, qui l’expose aux côtés de Merz, Boetti, Pistoletto ou Zorio et regroupe leurs pratiques sous le terme d’arte povera.
Néanmoins, malgré le succès grandissant, Piero Gilardi prend assez rapidement ses distances avec le monde de l’art, cherchant notamment à fuir la logique marchande des galeries. À l’inverse de certains de ses contemporains, il estime que critiquer le système de l’intérieur est impossible et préfère donc s’en démarquer. Débute alors une longue période, de 1969 à la fin des années 1970, durant laquelle il s’investit dans la vie de la Cité, arrête de produire des oeuvres pour le monde de l’art et travaille dans l’espace social. À une époque où la contestation étudiante et ouvrière est forte, il s’implique tout naturellement dans les mouvements activistes et de contre-culture : « […] il y avait chez moi l’intention de faire sortir l’art des schémas conventionnels et de le faire vivre au sein de l’expérience du quotidien, avec une fonction et un
mécanisme interne de type ludique 2 ». Piero Gilardi y développe notamment une réflexion autour de la notion anthropologique de « créativité collective », de l’oeuvre d’art plurale. Ce n’est qu’au début des années 1980, quelque peu désabusé par la répression des mouvements contestataires et la domination croissante du système capitaliste, qu’il revient dans la sphère de l’art, toutefois animé des mêmes intentions qu’à ses débuts.
L’exposition du CCC balaie l’ensemble de sa production protéiforme et permet de faire le lien entre ces différentes périodes. Outre les incontournables tapis-nature, ceux des années 1960 comme les plus récents, on retrouve ses premières sculptures, comme cet igloo de 1964 – rappelons que le premier igloo de Mario Merz date de 1968 – mais également des créations plus récentes, telles que Phosphor (2008), déjà présentée à la galerie Semiose l’année dernière, ou Tiktaalik, installation interactive spé-cialement produite pour l’occasion. Démonstration par l’absurde de la théorie de l’évolution, cette oeuvre nous place, dans une position assez ridicule et inconfortable, face à l’un de nos plus vieux ancêtres, chaînon essentiel du passage de la vie aquatique à la vie terrestre. Toute l’exposition navigue ainsi dans cet entre-deux, entre fantaisie et interrogations plus profondes. Elle permet surtout de constater que l’oeuvre de Piero Gilardi traverse de nombreux courants de l’histoire de l’art récent, du Pop art (à une époque, les tapis-nature étaient produits en rouleaux, avant d’être découpés et vendus au mètre) à la performance (on retrouve dans Leçon de choses des objets ayant été utilisés lors d’actions et manifestations des années 1970) en passant par l’esthétique relationnelle (trente ans avant qu’elle soit théorisée) ou l’art multimédia avec Connected ES (1998), installation censée amener ses participants « […] à un état de conscience qu’on pourrait définir comme hallucination collective lucide 3 ».
Piero Gilardi est aujourd’hui totalement investi dans son projet de Parco Arte Vivente (PAV), un parc installé à Turin, dont on peut découvrir la maquette à Tours. « Jardin en mouvement 4 » et laboratoire permanent, cette Gesamtkunstwerk, au sens gilardien du terme, permet à l’artiste de faire le lien entre les expériences utopiques des années 1960 et 1970, l’aménagement urbain tel qu’il s’impose aujourd’hui dans les villes modernes et des préoccupations plus personnelles – l’écologie, l’inscription de l’art dans la Cité, le travail avec le vivant et cette volonté jamais désavouée d’oeuvrer dans une perspective fédératrice et communautaire.
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1. Piero Gilardi, « Le fil de la représentation », in Not for sale, Les presses du réel, Dijon, p. 56.
2. Ibid., p. 55.
3. Piero Gilardi, « Connected ES », op. cit., p. 168.
4. C’est Gilles Clément, avec lequel Piero Gilardi a collaboré, qui est à l’origine de cette expression. Parmi les autres artistes ayant déjà travaillé au PAV, on trouve notamment Dominique Gonzalez-Foerster ou Michel Blazy.
Piero Gilardi — Leçon de choses au CCC – Centre de création contemporaine, Tours du 26 juin au 7 novembre 2010
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- Du même auteur : Oriol Vilanova, At First Sight, Il Palazzo Enciclopedico, 55e Biennale de Venise, Christopher Wool, Goldfinger, In search of everything,
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