Pierrick Sorin au Lieu Unique et à la Galerie Mélanie Rio (Nantes)
La rétrospective de Pierrick Sorin au Lieu unique (LU) et à la galerie mélanieRio, à Nantes, se déroule dans deux lieux à la charge historique et sociale très différente : l’usine et l’hôtel particulier. Il n’est pas étonnant que l’artiste, homme orchestre touche-à-tout qui s’évertue à brouiller les frontières entre culture pop et culture savante, ait accepté de relever le défi.
Au Lieu unique, cette Rétrospective /Prospective ! propose un parcours circulaire à travers un dédale de boîtes noires où sont montrés courts métrages et installations canoniques ; à l’extérieur de celles-ci sont présentés divers théâtres optiques, récits photographiques et autres dispositifs ingénieux. À la galerie mélanieRio, pour Curiosités domestiques, l’artiste se joue de la portée de l’oeuvre d’art reléguée au
rang d’objet fonctionnel et décoratif dans le salon d’un collectionneur. Dans les deux lieux, le visiteur est accueilli par d’immenses coulures, giclures et autres dégoulinures sur grands écrans ou minuscule judas. Pour reprendre le refrain de la chanson de Boris Vian, chez Pierrick Sorin, « Faut qu’ça saigne ». Mais le sang a toujours des allures de coulis de tomate. Que l’artiste s’en prenne au dripping, à l’action painting, à la musique, à la danse contemporaine, ou encore à l’art conceptuel, la fétichisation est irrémédiablement congédiée par le biais de l’humour, parfois franchement potache. La recette intègrera alors jaunes d’oeufs, petits pois, tapioca, lait et autres liquides prêts à jaillir et éclabousser. Le burlesque devient l’arme du crime par laquelle s’opèrent la désacralisation des idoles et la satire de la politique culturelle, notamment nantaise.
Sa célèbre vidéo Nantes, projets d’artistes (2000) fustigeait la commande publique. Dans C’était bien du coulis de tomate (2005), l’artiste pastiche le film muet et fait directement référence à l’attraction du grand éléphant de l’Île de Nantes. Tel un Touchstone, il rappelle ainsi par sa posture celle du bouffon, du fool shakespearien.
Cette figure clownesque, qui dénote dans le paysage de l’art contemporain français, renvoie à une profonde solitude et à la nature dérisoire de toute forme de créativité, de présence ou d’existence. Si les effets rudimentaires à portée spectaculaire sous la forme de théâtres optiques ou d’inventions remarquables jouent de magie burlesque, ils ne possèdent pas cette force dramatique et poignante des « auto-filmages » ou de l’installation phare Une vie bien remplie (1994) revisitée au LU. L’installation présentée sur dix écrans suspendus où l’artiste accomplit un ensemble d’activités du quotidien répétitives et sans intérêt s’accompagne de petites machines sonores de Pierre Bastien : un théâtre d’objets du quotidien qui cadence l’activité humaine. Elle entre en écho avec 22 h 13 (ce titre est susceptible d’être modifié d’une minute à l’autre), le spectacle que présente Sorin au Théâtre du Rond-Point : un portrait de l’artiste bricoleur reclus dans son atelier en proie à la monotonie du quotidien. Un cynisme décapant parcourt ce spectacle où le processus de création est déminé, démythifié. Les stigmates de la culture pop comme ceux de la culture savante y apparaissent tout aussi pathétiques, car chez Sorin, le spectateur ne sait jamais vraiment sur quel pied danser. La vidéo Un artiste à la mer (2007) tournée au Dourven et présentée à la galerie mélanieRio, a précédé la création du spectacle. Un créateur en proie à la recherche d’une « bonne idée » se livre à la contemplation du paysage. La diction de Sorin en voix off revêt des élans houellebecquiens. Dans 22 h 13, le pastiche se mue d’ailleurs en citation et lorsque l’on entend Plein Été à la fin du spectacle de Sorin, on ne sait plus bien à qui appartient la phrase « Il faudrait que je meure ou que j’aille à la plage » tant elle colle à l’oeuvre de Sorin, à cette tension tragi-comique qui en ressort.
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Pierrick Sorin — Rétrospective / Prospective ! au Lieu unique, Nantes, du 11 juin au 29 août 2010
Curiosités Domestiques à la galerie mélanieRio, du 11 juin au 30 juillet 2010
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- Du même auteur : L’entre-deux : des savoirs bouleversés , Émilie Pitoiset, « Vous Arrivez trop tard, Cérémonie », Eric Duyckaerts au Mac Val, Dynasty, Ariane Michel à la Fondation Ricard,
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