Sarah Braman au Confort Moderne
Sarah Braman
Avec son exposition d’automne, le Confort Moderne a réaffirmé une programmation audacieuse qui lorgne du côté de certaines scènes américaines peu ou pas représentées en France. Une prospection à dominante new yorkaise conforme à l’histoire d’une structure qui, faut-il le rappeler, organisa en 1979 à Poitiers le premier concert français de Sonic Youth. Après Michael Portnoy et David Adamo, l’exposition Collatéral en 2009 (Scott Lyall, Eileen Quinlan, etc.) ou Last Exit to Poitiers de Rita Ackermann en début d’année, c’est au tour des travaux de Sarah Braman et d’Ari Marcopoulos d’être hébergés cette fois-ci dans l’enceinte du bâtiment industriel. Le Confort réitère son protocole curatorial habituel : une exposition principale, celle des sculptures colorées de Sarah Braman, et un « Insert », les travaux (vidéos et photographiques) d’Ari Marcopoulos exposés dans la petite black box placée à l’entrée de l’espace. Deux projets autonomes, donc, portés par des pratiques distinctes mais dont les affinités, pourtant, ne sont pas totalement absentes.
Sarah Braman est le genre d’artiste qui mène sa carrière avec prudence : des études interrompues par un premier enfant, une vie un peu campagnarde dans le Massachussetts et un rythme d’expositions faible qui ne commence à croître que depuis peu. Elle se positionne cependant sur la scène indépendante new yorkaise en ouvrant au début des années 2000 la galerie Canada avec son compagnon Phil Grauer. L’endroit, proche du fonctionnement dynamique d’un artist-run space, fut l’un des premiers à participer à l’implantation des lieux d’art contemporain dans le quartier chinois du Lower East Side. Manhattan et vie rurale… Une tension qui n’est pas totalement étrangère à la dialectique qui se noue dans son œuvre, entre une pratique folk de la récup’ et son versant DIY plus urbain.
Ses sculptures sont des assemblages composés d’objets trouvés et de matériaux pauvres – une prédilection pour le plexiglas, le carton et le contreplaqué – qu’elle rehausse souvent de peinture à la bombe. Des harmonies acidulées et une ambivalence picturale entre bi- et tridimensionnalité qui ne sont pas sans rappeler parfois une certaine esthétique à la Katharina Grosse. Le projet du Confort s’est sédimenté pendant le mois d’août au cours de la résidence poitevine de l’artiste. Les œuvres présentées résultent d’une procédure contextuelle qui brise la frontière entre l’atelier et l’espace d’exposition puisque chaque pièce résulte du recyclage spontané des éléments quelle trouve sur son lieu de monstration : mobilier abandonné, chutes d’atelier, stock de vitrines d’une vieille exposition sur le skate… La démarche est abstraite, non métaphorique, mais s’appuie discrètement sur les pratiques vernaculaire des zones urbaines et périurbaines. Graffiti (l’utilisation de la bombe), bricolage, planche à roulette : des émanations qui font écho, dans l’exposition, aux travaux d’Ari Marcopoulos (la vidéo filmée en caméra subjective de la descente en skate vertigineuse d’une route à lacets interminable, ou celle d’un couple d’adolescents white trash jouant de la noise avec amplis et pédales d’effets).
La démarche de Sarah Braman puise largement dans une certaine histoire de la sculpture américaine, de Chamberlain à Morris, en passant par Shapiro. Ses œuvres, dit-elle dans le communiqué de l’exposition, « n’existent pas comme des références, des représentations ou des métaphores mais pour elles-mêmes. La sculpture […] est aussi réelle qu’une table ou un arbre. » Une déclaration, d’ailleurs, qui nous rappelle celle qu’E. C. Goossen rédige en 1968 dans le catalogue du MoMA pour l’exposition The Art of the Real : « La nouvelle œuvre d’art est très comparable à un morceau de nature, de rocher, d’arbre, de nuage : elle possède la même « altérité » hermétique. » Ici, pas d’appropriation ironique de formes génériques : l’œuvre témoigne de sa réalité objectale. La démarche, plutôt intuitive, joue avec les matériaux qu’elle amalgame afin de produire, pour chaque sculpture, des centres de gravité improbables que le spectateur cherche à découvrir. Les meubles usagés, les modules en plexi délabrés, les portières de voitures cabossées témoignent d’un post-minimalisme moins fasciné par la sérialité industrielle que par l’accident qui la bouleverse. Une esthétique de la ruine, toute en équilibre, qui participe d’un renouvellement des stocks à partir des résidus de construction et de destruction antérieurs.
Sarah Braman, Indian Summer, au Confort Moderne, Poitiers, du 17 septembre au 19 décembre 2010.
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- Du même auteur : Why stand when you can fall,
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