Plus blanc que blanc
« Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blanc »… Le Frac Aquitaine propose en ses murs, face aux docks, un panorama de ses acquisitions triées sur le volet autour de l’idée générative de blanc. Vaste chantier dont les pages sont loin d’être vierges. Penser le blanc aujourd’hui impose bien sûr un point de vue rétrospectif qui mène droit aux enjeux du modernisme. En ce sens, le choix de poser la monumentale Teapot (2005) de Karina Bisch comme pièce introductive à l’ensemble s’avère particulièrement bienvenu. Réinterprétant la fameuse théière en porcelaine dessinée par Malevitch, l’artiste allemande en distord les proportions et les angles pour en faire une sculpture sur socle, évoquant une maquette architecturale. Les Constellations Alba III de l’allemand Imi Knoebel évoquent, quant à elles, de par leur construction géométrique éclatée au mur et leur monochromie, certaines ramifications induites par le suprématisme ou les White Paintings de Rauschenberg. Le blanc et ses corollaires tels que la netteté et l’hygiénisme sont astiqués par les aspirateurs de Jeff Koons. Glorifiés ironiquement comme emblèmes de notre société au début des années quatre-vingt, tels des monuments « à la mémoire de », ils précèdent un des prototypes d’habitation/sculpture d’Absalon, la cellule n°2. Le blanc s’y conçoit comme abstraction radicale, vide, effacement, neutre.
Art, design et architecture : les trois hérauts des préceptes modernistes porteront le blanc aux nues, de sa symbolique de pureté à sa spatialisation neutralisante matérialisée par l’idéologie du White Cube. À cette généalogie de l’épure, Affinity (2009) de Pierre Labat ajoute un pan courbe, suspendu entre sol et plafond, défiant les lois de la gravité. Écho (2011) de Nicolas Chardon vient questionner l’histoire des avant-gardes et sa post-production par un principe d’exposition renouvelé de ses dix monochromes blancs accrochés en extérieur. La rythmique des blanc sn°1(2009) de Cathy Jardon ébranle la perfection des lignes du format carré alors que Stéphane Dafflon en arrondit les angles dans sa 89ème toile intitulée ASTo89 (2007). Le blanc s’impose comme surface de projection ou d’effacement comme en témoignent l’œuvre d’Opalka ou les Rétroportraits (1989) de Thierry Mouillé : une série de miroirs dépolis et dénués de leur pouvoir réflecteur. À cette conception immaculée s’oppose l’anti-lisse, l’anti-pur, l’anti-propre. Soit le pivot qui apporte toute sa substance au propos et emmène le corpus réuni vers d’autres horizons, moins aseptisés. C’est la Grotte de Lascaux III de Thomas Hirschorn qui est l’heureuse élue, et pour cause… Contre-modèle du White Cube, assemblage pénétrable mais précaire de matériaux hétéroclites, films plastique, carton, etc., cette pièce appréhende notre monde comme le contraire d’une page blanche. À l’inverse, il exacerbe son legs historique. Flux, imagerie publicitaire ne laissent de place qu’au chaos, au désordre et à une civilisation asphyxiée. Le virus est inoculé.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blanc, au Frac Aquitaine, Bordeaux, du 29 janvier au 16 avril 2011.
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- Du même auteur : Simon Boudvin, Abstraction manifeste, La grâce de la nonchalance, From Russia with love, Aires de Jeux, contre-emplacement à Micro-Onde (Vélizy-Villacoublay), Aire de Jeux, la police ou les corsaires à Quartier (Quimper),
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