Pop-up
Astérides, Cartel, Marseille *, du 18 avril au 6 juillet 2014.
L’année 2013 fut riche en célébrations institutionnelles : celle des trente ans des Frac qui fêtèrent la naissance d’un réseau issu de la volonté politique du premier gouvernement de gauche de la Ve République, celle des centres d’art également, même si elle se voulait plus détachée d’une décision originelle, préférant célébrer sa trentaine dispersée sous des cieux moins chargés en dorures que ceux des salons de Matignon [1]. Cet anniversaire de l’association marseillaise sera-t-il le premier d’une série de festivités au sein de ce monde nettement plus diversifié que ne l’est celui des deux précédents ? Sera-ce le moment d’une réévaluation ou tout simplement d’une analyse du rôle de ces structures qui parsèment le territoire national d’un maillage aussi dense que nécessaire ? Si l’on veut un exemple du caractère incontournable de ces rouages indispensables du système de l’art contemporain, celui d’Astérides est particulièrement frappant. Bien sûr, l’hypothèse marseillaise est un peu extrême dans ses nombreux dysfonctionnements, avec son absence de centre d’art et l’existence d’un musée d’art contemporain exsangue, à la programmation et au rayonnement en décalage total avec la situation de la deuxième ville de France. Cette configuration est cependant beaucoup moins isolée qu’on ne le pense : des villes comme Nantes, Rouen, Montpellier ou Strasbourg ne possèdent pas de centre d’art…
Aussi, l’exemple d’Astérides est-il tout à fait représentatif d’une situation nationale où ce sont les associations qui font le travail de repérage, de promotion et de monstration de l’art contemporain émergent. Pur artist-run space – pour reprendre la formulation anglaise qui, ici, n’est pas déplacée puisqu’elle correspond à la genèse d’une association formée par deux couples d’artistes au début des années quatre-vingt-dix – Astérides fut créé dans le but de vivifier et d’activer une scène marseillaise déjà très riche et, surtout, de faire venir des artistes de tous horizons formels et géographiques en s’inscrivant dans un réseau de circulation artistique international [2]. Le défilé est plutôt impressionnant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : Astérides a vu passer entre ses murs plus de deux cents artistes-résidents mais, avant les chiffres, ce sont les singularités qui comptent et des profils aussi variés et excitants que ceux d’un Jimmy Durham ou d’un Saâdane Afif témoignent de cette richesse de la sélection. Certes, l’exposition « Pop up » qui réunit une quinzaine d’artistes choisis par les fondateurs associés à la nouvelle direction, n’échappe pas à la tentation du best of : les artistes entre temps devenus célèbres sont autant de motifs de fierté pour la petite association (financièrement, s’entend) et témoignent du flair indéniable de l’équipe dirigeante. Mais la présence au milieu de ces artistes largement reconnus des dernières recrues – comme Élodie Moirenc, qui présentait une installation très efficace utilisant des lés de tapisserie découpés suivant leurs motifs et réassemblés pour recomposer un objet scénique inédit ou Gaëlle Choisne, déployant un vocabulaire de formes fragmenté qui ravive la mémoire d’un passé colonial enfoui via le rappel subtil des techniques muséales ou anthropologiques – montre que l’association a su maintenir une réelle exigence, au-delà du renouvellement des cadres fondateurs. Cette dernière a ainsi réussi à négocier le passage de relais du quatuor originel vers une équipe de deuxième génération tout en conservant l’énergie des débuts.
Le « système » Astérides, c’est finalement un système assez bien répandu dans l’hexagone et, au-delà, dans l’Europe et le monde : un mix de débrouille et de désir, d’exigence artistique et de désintéressement financier, même si le fonctionnement se professionnalise de plus en plus et le désintéressement de départ cède le pas à un réalisme difficilement contournable. Bien que chacun de ces lieux revendique sa singularité et son autonomie, les hypothèses de développement de ces structures légères apparaissent de plus en plus liées au regroupement d’entités complémentaires, favorisant la réactivité mais aussi l’inventivité opérationnelle, architecturale, sociétale ; l’insertion d’Astérides au sein de l’entité plus large qu’est le Cartel et sa participation à des réseaux transnationaux de résidences d’artistes témoigne de la mise en place d’agencements inédits qui répondent aux nouveaux enjeux de la création contemporaine : il serait bienvenu de se pencher de plus près sur ces artist-run spaces de deuxième génération qui proposent des modalités de fonctionnement plus souples que leurs aînés de l’institution, en n’oubliant pas de préserver des conditions optimum d’accueil et de présentation des travaux. Après le flamboiement de Marseille 2013 et les premiers signes de relâchement de la dynamique qu’elle avait réussi à insuffler, l’association Astérides, parée de ses coéquipiers du Cartel, se révèle de plus en plus comme l’élément moteur de la jeune création contemporaine à Marseille.
- ↑ Les trente ans des Frac donnèrent lieu à une réception dans les salons de Matignon.
- ↑ Cf. entretien entre Sylvie Collier et les quatre artistes fondateurs d’Astérides, Gilles Barbier, Claire Maugeais, Jean-Christophe Nourisson, Sandrine Raquin, [vingt ans après…], catalogue de l’exposition « Pop up », éditions Astérides.
- * Avec : Saâdane Afif, Gilles Barbier, Katia Bourdarel, Gaëlle Choisne, Anthony Duchêne, Chloé Dugit-Gros, Jimmie Durham, Pierre Malphettes, Claire Maugeais, Élodie Moirenc, Nicolas Momein, Jean-Christophe Nourisson, Bruno Peinado, Sandrine Raquin, Bettina Samson, Claire Tabouret, Sarah Tritz / Émilie Perotto, Raphaël Zarka.
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- Du même auteur : 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac, Anozero' 24, Biennale de Coimbra,
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