Primavera, Primavera

Primavera, Primavera
16 novembre 2024 — 25 mai 2025
Frac Nouvelle-Aquitaine La MÉCA
Avec Carla Adra, Anonyme, Charlie Aubry, Alizée Armet, Alex Ayed, Selim Bentounes, Lény Bernay, Collectif Bientôt Fini (Clémentine Beth, Calypso Debrot, Lucile Genin, Maya Paules, Lucie Schneider), Deborah Bowmann (Amaury Daurel & Victor Delestre), Lou Chavepayre, Julien Creuzet, Calypso Debrot, Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Juliana Dorso, Kenny Dunkan, Ben Elliot, Fossile Futur, Eva Georgy, Lola Gonzàlez, Morgane Jouvencel, Morvarid K, Euridice Zaituna Kala, Özgür Kar, Tarek Lakhrissi, Nina Laisné, Ntshepe Tsekere Bopape, Rafael Moreno, Palette Terre (Bastien Cosson, Aurélien Porte, Nicolas Roggy, Jonathan Binet, Sylvie Fanchon, Nicolas Chardon, Josquin Gouilly Frossard, Julien Monnerie, Maxime Baron, Karina Bisch, We Are The Painters, Corentin Canesson, Romain Poussin, Émile Vappereau), Antoine Renard, Olga Roger-Debrot, Kevin Rouillard, Sara Sadik, Zeinab Saleh, Molly Soda, Artie Vierkant, Cécile Vignau
Commissariat d’exposition : Karen Tanguy et Émeline Vincent
Du 16 novembre 2024 au 25 mai 2025, le Frac Nouvelle-Aquitaine La MÉCA présente « Primavera, Primavera », une exposition collective abordant le sujet de la jeunesse et réunissant quelque quarante artistes. Conjuguant les œuvres de la collection quadragénaire à celles d’une dizaine d’artistes invité·es, la proposition orchestrée en interne par Karen Tanguy et Émeline Vincent ambitionne de fédérer autour d’une jeunesse aux définitions plurielles, entre les murs d’un bâtiment inauguré en 2019 et signé par le Danois Bjarke Ingels.
L’exposition, qui convoque tout à la fois Matrix et la pensée rhizomatique de Deleuze et de Guattari, s’inscrit comme la première d’un cycle de coécriture porté sur la question de la jeunesse en 2025 en Nouvelle-Aquitaine, à partir des œuvres de la collection du Frac. Elle explore six fils narratifs eux-mêmes réunis en trois chapitres au sein desquels déambuler, le premier abordant la résurgence du passé sur le présent, le second axé sur notre rapport au(x) monde(s) et le dernier relatif aux différentes manières d’envisager le futur et notre survivance.

En pénétrant dans la salle d’exposition aux cimaises extérieures en biais, c’est un son qui nous appelle et nous invite à rapidement nous diriger vers une alcôve où deux vidéos se font face. L’installation de Nina Laisné, Esas lágrinas son pocas [Ces larmes sont peu de choses] vient aborder la question de l’oubli et de la perte d’héritage au sein de deux projections où des enfants qui chantent et pleurent défilent. Elle fait écho à l’enfant star Quetcy Alma, baptisée « La Lloroncita » [la petite pleureuse], une enfant portoricaine devenue célèbre dans les années 1960 grâce à sa capacité à pleurer sur commande. Ce n’est pas la seule installation de cette section introductive à interroger la transmission, la fabrique de l’Histoire et une forme de souffle du passé qui sculpte irrémédiablement le présent. C’est aussi le cas de Sumo : des différents niveaux de toxicité, par exemple, une œuvre d’Euridice Zaituna Kala qui met en lumière le lourd passé colonial de la Nouvelle-Calédonie, par l’association de photographies de déporté·es de la Commune et de l’exposition coloniale internationale de 1931 avec des représentations de plantes toxiques.
« Primavera, Primavera » donne aussi la part belle au collectif et aux collectifs qui ont droit ici à une vaste partie de l’espace d’exposition – titrée « En bonne compagnie » – où se mêlent les travaux de jeunes organisations ou de plus établies, comme Palette Terre, initiée par Bastien Cosson et Elsa Oliarj-Ines en 2014 depuis leur appartement parisien. Cette célébration de l’auto-organisation, à travers des œuvres créées collectivement ou dans une démarche participative, souligne la nécessité croissante de s’associer comme une stratégie alternative aux modes de production plus classiques. Ainsi, le jeune collectif Fossile Futur vient s’accorder avec la pensée de la sociologue Marielle Macé et Nos cabanes1 avec « Sous le regard des trois grenouilles », un espace commun à arpenter, qui fait office à la fois de terrain de jeu, de refuge ou encore de lieu de stockage d’outils pédagogiques.

Une autre section – « De la chambre à la fenêtre » – est peut-être plus attendue, puisqu’elle traite de la sempiternelle question des usages du numérique et de la dichotomie entre une forme d’isolement et la surexposition à des écrans qui viennent filtrer et infiltrer nos quotidiens. Les artistes qui la composent n’en sont pas moins pertinent·es, puisqu’on y retrouve, par exemple, l’Américaine Molly Soda et sa percutante vidéo Last 5 Years, dans laquelle l’artiste partage son écran où défilent six enregistrements d’elle-même, mis en abyme.
La présence de plusieurs jeunes artistes de la région Nouvelle-Aquitaine mérite d’être saluée. Ainsi, Alizée Armet, Eva Georgy ou encore Lou Chavepayre, par exemple, rencontrées par Karen Tanguy et Émeline Vincent au fil de plusieurs voyages de prospection, figurent parmi les belles découvertes de « Primavera, Primavera ». Diplômée de l’École supérieure d’art Pays basque et de l’École supérieure d’art et de design des Pyrénées, Lou Chavepayre expose quatre pièces dans l’exposition, dont Cosmo, une constellation de pierres d’où s’échappe la voix d’un astrologue qui nous murmure le thème astral de l’artiste.
Enfin, la jeunesse s’illustre aussi par sa capacité à envisager l’avenir, faisant du dernier chapitre du parcours – un consortium d’échappées fictives vers les mondes de demain – une étape incontournable de l’exposition. S’y côtoient les hypothèses de futurs envisageables d’artistes comme Sara Sadik, Tarek Lakhrissi ou encore Morgane Jouvencel, dont les quatre « paysages – créatures » viennent façonner, par l’aluminium et le sel notamment, un monde où de nouvelles formes de vie nous auraient succédé.
« Primavera, Primavera » s’envisage ainsi comme l’étrange mais sublime résilience des protagonistes de la vidéo Tonnerres de Lola Gonzàlez, dans laquelle une danse cathartique dans les rues de Nice vient panser les traumatismes d’une population dévastée par les actes terroristes du 14 juillet 2016. « Primavera, Primavera », comme un cri que l’on aurait envie de scander, « Primavera, Primavera », comme une formule magique, une incantation porteuse de promesses qui fait état des luttes et interrogations d’une génération aux mille visages. S’il est impossible de dresser un portrait exhaustif de la jeunesse, l’exposition réussit en grande partie son pari d’en présenter une vision kaléidoscopique, où retentit la voix des aîné·es, comme des plus jeunes, largement nourrie par « des résonances et une pensée buissonnière ».
- Marielle Macé, Nos cabanes, Paris, Verdier, 2019.

Head image : Lola Gonzàlez, Tonnerres, 2022, collection Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA. © Adagp, Paris, 2024.
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