Que s’est-il passé ?
MAC/VAL, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine *, mars-juillet 2014.
Que s’est-il passé lors des premiers rendez-vous du cycle éponyme ? Beaucoup et bien peu à la fois : on a regretté que la boîte à images qui avait inspiré à Elodie Brémaud son action Diligence planifiée soit cassée (Que s’est-il passé #1 ? Elodie Brémaud) ; on a baillé devant la conférence de M. Baud-Poulet, Immaterial Art Brocker diplômé de l’Executive Master in Art Market Studies de l’université de Zurich, vantant les mérites de l’investissement dans l’art immatériel (Que s’est-il passé #3 ? Florence Jung) ; on a soufflé des bougies d’anniversaire sur un gâteau et chanté en chœur « Rame, Rameur, Ramez » d’Alain Souchon (Que s’est-il passé #3 ? Nicolas Koch et Jean-Sébastien Tacher) ; on a zouké en écoutant Ava Carrère chanter les douze performances qui se sont succédé sur le ring de boxe pour combat solitaire de Stéphanie Lagarde (Solo, 2012) dans le cadre de l’exposition D’échec en échec, sans perdre son enthousiasme (à Ygrec | ENSAPC, Paris) – une chanson comme un prélude à cette invitation lancée par le MAC/VAL à Sophie Lapalu.
Que s’est-il passé ? s’inscrit dans la continuité des recherches que mène la curatrice sur ce qu’elle nomme « les actions furtives ». Car, contrairement à Joséphine, la cantatrice de Franz Kafka, les artistes invités tout au long des six rendez-vous du cycle ne se produisent pas sur scène – parfois en public mais jamais ou presque devant un public. Et s’il s’est bel et bien passé quelque chose, ce n’est certainement pas de l’ordre de la performance comme le suggère malencontreusement le sous-titre du cycle, ni avant (lors de ces actions dont vous n’aurez jamais que le récit), ni pendant (lors de ces interventions des artistes au MAC/VAL). Les actions dont il est question ici se dérobent et empruntent parfois les atours les plus triviaux, à l’instar de Yann Vanderme « faisant comme si » (comme s’il faisait nuit, comme s’il aimait le sport), « faisant semblant de faire des choses » (attendre son train, lire le journal), ou, plus mathématique, « faisant les choses à 33% ». Vous y avez peut-être assisté un jour mais vous ne le saurez jamais.
Ils ont fait des choses, ils n’ont pas fait grand-chose, mais ils en ont parlé. Avec générosité, Sophie Lapalu nous fait partager les récits de ces « actions furtives » qu’elle dit traquer « tel Dupin dans la nouvelle d’Edgar Allan Poe La Lettre volée ». Pour leur rendre leur hic et nunc que la documentation habituelle (photographies, captations sonores ou vidéo, objets-reliques) fige de manière mortifère. Leur hors-champ, aussi. Et parce que l’ekphrasis permet de poser la question de la qualité esthétique résiduelle de ces actions. Comment en rendre compte ? Fermez les yeux : pari réussi. Zeuxis amateurs, gentiment loufoques ou complètement déjantés, les artistes se prêtent au jeu et proposent des réponses aussi diverses que le sont leurs pratiques respectives. Ainsi : Elodie Brémaud convie Simon Thiou à l’interroger sur Diligence planifiée (21-27 juin 2013), un parcours reliant quatorze panoramas alpins dont elle fera le récit, à peine arrivée, transpirant encore dans ses vêtements, lors du vernissage de l’exposition « Tu verras en haut on a une super vue » (Duplex, Genève). Simon Thiou pourra ainsi confronter ces souvenirs à sa propre expérience lorsqu’il l’accompagnera dans la réédition du périple. Ou encore : Nicolas Koch, auteur d’un exploit fictif largement relayé par la presse (une traversée de la Manche en pédalo), confronté à Jean-Sébastien Tacher qui a réellement accompli ledit exploit, avec ses coéquipiers de l’École du Baoum, dans l’indifférence la plus complète (Wimereux-Dover aller-retour), se fait remplacer par l’artiste Benjamin Artola et ne répond même pas aux appels Skype pendant la conférence. Bizarre… bizarre ? Après la déconcertante prestation du complice de Florence Jung, on finit par chercher dans toutes ces interventions d’autres « actions furtives ».
Mais point de poupées russes ici. Il ne s’agit pas d’enchâsser les secrets les uns dans les autres, plutôt d’en révéler la nature paradoxale. « Le secret ne se constitue tel que de sa disparition » (Louis Martin) : où révéler l’existence de l’action la valide (en la portant à notre connaissance) et l’invalide en même temps (en déflorant précisément son existence). Un réjouissant exercice d’équilibriste pour Sophie Lapalu et ses complices, à suivre pour quelques rendez-vous encore au MAC/VAL où vous rejoindrez alors ce qu’elle nomme « la communauté des confidents ».
- * Commissariat : Sophie Lapalu.
- Avec : Elodie Brémaud et Simon Thiou, Ava Carrère, Florence Jung et M. Baud-Poulet, Benjamin Artola, Nicolas Koch et Jean-Sébastien Tacher, Jean-Baptiste Farkas, Nicolas Boulard et Yann Vanderme.
- Prochain rendez-vous : Dimanche 6 juillet 2014, 17h – Nicolas Boulard | Yann Vanderme
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- Du même auteur : Étrange nature, Arnaud Vasseux, Continuum, murmure, Mahony, Slow Season,
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