Résonance
Musée des Beaux-arts de Rouen, 17.02 -13.05.2018 / Frac Normandie Rouen, 14.04-26.08.2018
Les Fracs ont aujourd’hui plus de trois décennies d’existence. L’on se souvient des festivités accompagnant – tapageusement – cet anniversaire il y a quelques années : à l’époque, il paraissait évident que le développement de telles structures passait d’abord par l’édification d’un lieu dédié, parfois imposant et quasi muséal, comme à Besançon, Marseille ou Rennes. Or, il serait bon de rappeler le mandat premier des Fracs, à savoir composer une collection publique destinée à être diffusée régionalement mais aussi nationalement et, pourquoi pas, internationalement. Il est intéressant de s’interroger sur les politiques d’acquisition de ces lieux dont la dimension de préservation et de diffusion d’une collection s’éclipse parfois au profit d’expositions monographiques ou collectives, éloignées des acquisitions.
C’est ce que propose actuellement le Frac Normandie Rouen, en exposant une partie des acquisitions de ces cinq dernières années, en deux parties : l’une dans le Frac (établi dans son bâtiment actuel à Sotteville-lès-Rouen depuis 1998) et l’autre au musée des Beaux-Arts de Rouen, sous le titre plutôt passe-partout de « Résonance ». L’accent est mis, de façon plutôt pédagogique, sur les différents axes d’acquisition du Frac, axes souvent connus des seuls initiés mais ignorés par les profanes : en matière de médiums, sa politique d’acquisition favorise la photographie, le livre d’artiste et le dessin, après avoir beaucoup défendu la peinture. Par ailleurs, le lieu possède des liens privilégiés, du fait de sa position géographique, avec la scène anglaise mais aussi – de par le jumelage Rouen-Hanovre – avec l’art contemporain allemand. Un frisson d’austérité parcourt également la collection, certes axée sur des problématiques liées au corps ou à la nature, mais souvent en lien avec des espaces architecturés ou avec des formes liées à l’écriture ou au récit.
Il faut signaler que quelque chose frappe d’emblée dans l’ensemble des œuvres réunies dans les deux lieux et qui, pour beaucoup, ont déjà pas mal circulé dans la région : outre la richesse des collections, c’est aussi la diversité des artistes dont les œuvres ont été acquises. Certains poids lourds de l’art contemporain – Hans-Peter Feldmann, Mark Dion, Jeremy Deller ou Rineke Dijkstra, pour n’en citer que quelques-uns – côtoient sans peine de jeunes artistes, comme Prioux et Peixoto, Pauline Bastard ou Carina Brandes. Le Frac s’engage également nettement en faveur d’artistes de son territoire, qu’ils y habitent, y aient étudié ou y enseignent : les œuvres de Stéphane Montefiore, Sylvaine Branellec, Simon Nicaise ou Dominique De Beir témoignent ainsi d’un engagement local doublé d’une certaine rigueur dans le choix des œuvres.
Il serait sans doute impossible d’évoquer ici en détail les deux espaces d’exposition mais il apparaît que l’accrochage de la collection, plutôt sage au musée des Beaux-Arts, culmine avec une très belle salle à l’étage du Frac. Là s’entrecroisent photographies, dessins, vidéos, peintures, livres d’artiste et autres posters autour d’une vision pour le moins silencieuse et réflexive du caractère insondable de certaines œuvres d’art. Les vidéos se penchent sur les phénomènes : danse de la poussière dans les rais de lumière d’une projection cinématographique pour Aurélie Sement, volutes provoquées par le sel dans la mer morte chez Edith Dekyndt ou pression des doigts qui fait tressauter une surface réfléchissante chez Diogo Pimentão. L’image bientôt se trouble, n’en reste plus que quelques traces : ce sont les incroyables œuvres de l’artiste roumaine Marieta Chirulescu, jouant sur la reproductibilité des images par le biais de distorsions, de recadrages ou d’erreurs d’impression, ou les peintures arides de Terencio González, réalisées à partir de fonds d’affiches. La photographie même refuse de révéler ses secrets, comme avec l’image du noir supposément le plus sombre au monde, par Ryan Gander, ou encore les Digitométries bleutées d’Isabelle Le Minh : cette dernière a scanné les traces des mouvements des doigts à la surface de téléphones tactiles et le rendu s’apparente à de bien discrètes abstractions gestuelles du quotidien. Face à cette impossibilité de l’image, il semble ne rester que le texte, lequel devient bien souvent brouillé : c’est le cas des estampes de Laurence Cathala où les extraits de récits d’auteurs variés s’entremêlent, ou des éditions de Mirtha Dermisache dans lesquelles les lettres s’effacent au profit de nouveaux signes illisibles. Ne subsistent alors que la page blanche d’Ignasi Aballí (Tentative d’épuisement, 2014), les entrelacs au stylo bille de Thomas Müller ou les poussières d’Éric Watier. Autant de choix d’acquisitions qui, dans un lieu institutionnel, attestent d’une réflexion éminemment délicate sur notre monde contemporain, loin d’un sensationnalisme en vogue.
(Image en une : Diogo Pimentão, Retornar—Returned, 2012. Vidéo 4/3. Collection Frac Normandie Rouen.)
- Publié dans le numéro : 87
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- Du même auteur : Syncopes et Extases. Vertiges du Temps, At the Gates, Valérie Mréjen, Clarisse Hahn, O! Watt up, de Watteau et du Théâtre,
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