r e v i e w s

Safouane Ben Slama

par Pauline Lisowski

4 Saisons 
Safouane Ben Slama 
Espace d’art La Terrasse, Nanterre 
Une exposition curatée par Camille Martin 

A l’espace d’art La Terrasse, Safouane Ben Slama réunit trois ensembles photographiques de différentes temporalités, présentant une diversité de liens entre l’humain et la flore. Le point de départ de son intérêt pour le végétal remonte à une exposition de l’artiste au CAC de Betigny-sur-Orge dans laquelle ses photographies montraient des personnes dans des parcs et aux abords de champs. Un ciel bleu et la couleur verte dominante témoignaient d’une nature que l’on peut côtoyer dans des milieux urbains. Suite à cette série, l’artiste entame une recherche photographique sur la présence des plantes dans les lieux que nous fréquentons et auprès de personnes qu’il a rencontrées et qu’il a pu suivre pour observer leurs gestes à s’occuper du vivant végétal. Ses photographies rendent visibles la douceur, le calme, la tendresse, le bonheur que les fleurs peuvent générer en nous. 

Son approche des plantes relève d’une attention à leur capacité à émerger ici ou là, à travers le bitume. L’artiste rend visible cette végétation spontanée qui le fascine et face à laquelle il prend le temps de s’arrêter. Lorsqu’il photographie, il se met au plus près de son sujet et cherche à « réinterroger nos habitudes et ce qu’on ne voit pas ou plus ». Parfois la fleur se détache dans un ciel bleu. D’autres images sont prises la nuit, la lumière du flash venant les faire ressortir. Cette série photographique véhicule la possibilité de rêver, de songer à l’émergence d’une vie foisonnante qui pousse malgré les contraintes. Les fleurs se retrouvent également sous forme de tatouages : une manière d’amener un peu de douceur sur sa peau et de garder avec soi la vigueur de la plante. 

D’autres photographies ont été réalisées à l’occasion d’un atelier photo au sein de la maison d’arrêt de Nanterre où il a observé les attitudes douces et bienveillantes de détenus à composer des bouquets pour les offrir. Il a capté des moments d’une grande poésie où la fleur participe à une forme d’émancipation. On ressent l’expression d’une bienveillance, d’une rencontre avec un autre.  

Safouane Ben Slama, vue de l’exposition 4 Saisons à l’Espace d’art La Terrasse, Nanterre, 2024. Commissariat d’exposition par Camille Martin. Photo : Line Francillon.

Ce sont également ces attentions et le soin porté aux plantes des jeunes horticulteurs de Fontenay-sous-bois qu’il a pris en photo. Le végétal est gage de bien-être, de joie pour ceux qui prennent le temps de l’observer et de créer avec. L’artiste a suivi l’évolution des gestes de plus en plus précis des personnes qu’il a côtoyé et fut particulièrement marqué par leur empathie face au vivant végétal. Ses photographies préservent l’anonymat, le hors-champ permettant de mettre en exergue l’action et le lien entre l’individu et la plante. Cette expérience l’a amené à comprendre que le contact avec les plantes peut influencer les comportements et activer une sensibilité que chacun peut cultiver. Ses photographies appellent un certain espoir, un sentiment que tout est possible et à venir avec les plantes. Elles seraient vectrices d’un changement d’attitude, de considération et de respect pour l’autre. 

Comment les liens aux plantes nous relient à des souvenirs, telle est la question que Safouane Ben Slama soulève avec son premier film Ommi (Ma mère). On y voit l’attachement de sa propre mère vis-à-vis d’un géranium et de la menthe, qu’elle a emporté d’un jardin familial. En en prenant soin, en humant leur parfum elle se rappelle son enfance, ses origines. Ces deux parents vivent en elle grâce à ces plantes. Chargées d’affects, ces espèces prennent de l’importance pour celle qui les chéries. A travers cette vidéo plus intime, de nombreuses histoires de transmission de plantes peuvent se lire. Se relier à ces vivants non-humains permet de restaurer des souvenirs et de penser à ceux qu’on aime. Pour l’artiste, cette œuvre filmique l’engage également à parler d’immigration ainsi que des manières que nous avons de se reconnecter aux lieux et aux êtres qu’on quitte et pourtant continuent de faire partie de nous.  

Le lien à la fleur traverse les générations, les continents et les lieux. Il active un plaisir, une joie, une confiance en ses propres capacités à créer et à prendre soin du vivant. Son exposition propose une promenade visuelle : un moment où laisser son regard se poser sur des fleurs et des bouquets face auxquels raviver une mémoire de rencontres avec une flore au quotidien. Tout un chacun peut retrouver face à ces images l’expérience d’un émerveillement.  

Puisse cette exposition nous amener à changer notre regard sur les espaces quotidiens que nous traversons et à restaurer une confiance en la sensibilité que possède chaque personne. 

Safouane Ben Slama, vue de l’exposition 4 Saisons à l’Espace d’art La Terrasse, Nanterre, 2024. Commissariat d’exposition par Camille Martin. Photo : Line Francillon.

Head image : Safouane Ben Slama, vue de l’exposition 4 Saisons à l’Espace d’art La Terrasse, Nanterre, 2024. Commissariat d’exposition par Camille Martin. Photo : Line Francillon.


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