r e v i e w s

Sans tambour ni trompette

par Julie Portier

Le lieu unique, Nantes, du 29 mai au 11 août 2013

Dans une seule vie, il a été dessinateur, écrivain, metteur en scène, réalisateur, acteur ou encore chansonnier. Dans les années soixante, alors étudiant aux Beaux-Arts, il fricotait autant avec les Nouveaux Réalistes qu’avec Fluxus ou avec les anciens du Surréalisme. On sait de lui qu’il a fondé « l’anti-mouvement » Panique avec Alejandro Jodorowski et Fernando Arrabal, qu’il a été l’un des piliers de la revue non respectable Hara-Kiri , qu’il a signé quelques romans dégoulinants d’humour noir (Le locataire chimérique, Les masochistes, Mémoire d’un vieux con), qu’il a réalisé des émissions de télévision parfaitement excentriques (Palace et Téléchat), en somme, on doit beaucoup à cet indocile qu’était Roland Topor. Son monde débonnaire et cynique est réapparu d’entre les morts, ses dessins de cancre génial dans les miettes fantômes de petits Lu, grâce à l’exposition organisée par Bertrand Godot, directeur du centre d’art La chapelle du Genêteil à Château-Gontier et adorateur de Topor. Mais si c’est un hommage, il s’adresse au dessin comme le propre de l’homme, activité réflexe, médium des passions excessives corseté par l’enseignement académique, dont l’amusement consiste justement à déjouer les règles du style, du goût et de la morale, le dessin comme plan d’évasion mais creusé de lucidité.

Topor y figure à l’égal des autres personnalités chevauchant les catégories, artistes célèbres, méconnus ou ignorés, ici réunis par une certaine idée de la désinvolture à fleur de peau et qui semblent préférer leur chambre aux champs de batailles. On y croise comme en ouvrant un à un des tiroirs d’apothicaire Daniel Nadaud, Michael Dans, Didier Trenet, Benjamin Monti, Mrzyk & Moriceau. « Sans tambour ni trompette » dit le titre emprunté à un dialogue de Truffaut (Domicile conjugal) : des révoltes en sourdine, des états d’âme exacerbés sous la pédale. Pierre Giquel, dans un texte écrit pour l’exposition, y voit le reflet de Godot, un personnage du monde de l’art comme on n’en fait plus beaucoup, c’est vrai : « un homme comme ceux qu’on rencontre dans les films de Truffaut, furtif, timide presque, et finalement pas très recommandable par ailleurs, un talentueux à la voix hésitante, laissant sur sa route des signes qui sont autant des bombes que des salutations distinguées… ».

Pour ce cabinet de curiosités, il a en effet imaginé une scénographie en forme de corps humain, l’entrée étant flanquée de deux sculptures monumentales : la tête en forme de théière d’Erik Dietman et la main faisant le signe de la victoire de Didier Trenet, trophées burlesques qui donnent le ton à la fois grave et dérisoire de cette plongée dans le cerveau pour arriver dans les viscères et même ressortir par le colon (un passage secret tout noir créé par Mrzyk & Moriceau). Dans tous les coins, on ouvre son crâne et on montre son cul pour voir ce qui est au plus profond de l’être et, qu’en somme, tous les corps qui pensent et les âmes qui chient ont en commun. Les esprits grouillants d’insectes chez Nadaud, les scènes galantes du XVIIIe siècle superposées à des gravures édifiantes de l’ère esclavagiste que le jeune Benjamin Monti reproduit sur papier calque, les songes chevaleresques de Didier Trenet, l’iconographie de l’enfance pervertie en très grand format dans les encres de Michael Dans, toutes ces étrangetés sont si familières… Nos rêves récurrents, traumatismes banals, fantasmes ultraordinaires, semblent trouver leur illustration dans le trait doux de Topor : un homme court après son sexe, l’autre perd ses membres en gravissant une montagne. La mort rôde ici car elle est nécessaire à la vie, car elle est contenue dans les désirs, sexuels et gastronomes (la pièce montée de Trenet ne promet-elle pas la crise de diabète au cœur de la fête?), mais la main crie victoire car elle a le pouvoir de mettre en orbite nos plus bas instincts.


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