Sarah Tritz
J’ai du chocolat dans le cœur, FRAC-Artothèque du Limousin, Limoges, 06.10.2017 – 20.01.2018
Si le spectateur averti y voyait un des nombreux avatars du postmodernisme, il n’aurait sans doute pas tort. Les emprunts de Sarah Tritz flirtent allègrement avec l’histoire de l’art. Sa pratique de la « copie non conforme » revendique une gymnastique de la réappropriation décomplexée. Cependant, n’y voir qu’un étalage de références confinerait le travail à l’exercice de style. C’est davantage une enfance de l’art qui anime l’artiste, dans une maladresse et une spontanéité assumées.
Cette grande exposition personnelle réunit une part importante de productions récentes, mêlées à quelques œuvres plus anciennes déjà acquises par le Frac-Artothèque du Limousin. Sous la lumière crue des fluos blancs qui révèle l’architecture voûtée de cette ancienne coopérative ouvrière, les pièces occupent les alcôves compartimentées et tentent, malgré tout, de communiquer. Une grande figure féminine de contreplaqué ouvre la perspective (Allo Savinio ?!, 2017). Talons et sac à dos rempli de fleurs et d’une baguette, le geste d’un téléphone mobile à la main, elle place la déambulation sous le signe du grand magasin. Oui, il y a de la parodie et du grotesque dans cette approche éclectique qui travestit tout ce qu’elle touche. « Les formes que je fais découlent souvent d’une erreur de pensée et / ou d’une ellipse après avoir fait la synthèse de plusieurs œuvres regardées », dit l’artiste. L’acrobate de Picasso ou Joséphine Baker deviennent transgenres (Georg, 2017, Joséphine, 2017), les formes épurées de Brancusi se voient affublées de poitrines (Be Cooler, 2017). Les éléments métonymiques du corps humain se répètent d’œuvre en œuvre, au gré des supports, jusqu’à acquérir le statut de motif. Pieds, mains, cœurs, cauris-vulves sont fragmentés, comme découpés dans la couleur, à la façon des papiers collés de Matisse. Ce rapport aux formes à la fois archaïque et ludique rapproche Sarah Tritz de l’énergie des enfants. Elle renoue ainsi avec l’origine de l’art recherchée par Paul Klee quand il redécouvre au grenier ses dessins de jeunesse. Son éparpillement est aussi symptomatique de son regard gourmand qui digère à moitié. Les trois Flat bed (2017) reprennent ainsi l’horizontalité des Combine paintings de Rauschenberg mais en annulent la matérialité jusqu’à rendre leurs composants indiscernables.
Le principe de l’illusion se traduit cependant moins par l’identification de la matière que par l’impression de déjà-vu, ce que l’artiste nomme la « dyslexie des formes ». Yannick Miloux, le commissaire, ne s’y est pas trompé quand il propose à Sarah Tritz de réaliser trois accrochages successifs à partir des collections de l’institution dans l’une des alcôves, séparée du reste de l’exposition par une cimaise. Convoquant une formule curatoriale devenue académique, le commissaire y insuffle un joli dynamisme en travaillant la temporalité de l’exposition tout en sondant les généalogies artistiques de cette production protéiforme. Le signe pop comme forme abstraite parasitaire (Marti-Vivès, Mickey, 1993 ; Stephen Felton, Space House, 2015) mais aussi le rythme musical de la géométrie colorée et les fausses répétitions de la peintre américaine Shirley Jaffe envers laquelle Sarah Tritz manifeste sa dette sous la forme d’une étude préparatoire (Shirley Jaffe, Blues Around the Center, 1990 ; Shirley, 2015). Il n’est pas anodin de remarquer que, dans cet exercice, Sarah Tritz se sent davantage collectionneuse que curatrice1. Ce qui n’est pas sans lien avec sa méthode de travail2.
Le dernier espace de l’exposition révèle les ficelles. La petite Peinture abstraite n°1 (2011) aperçue au fond du couloir est en réalité un découpage tridimensionnel dont le rebord se soulève comme pour mieux nous inviter à fureter derrière le rideau. Hasard de l’espace, l’œuvre est fixée sur une porte dérobée surmontée d’un soupirail. Le mannequin sans visage inspiré de De Chirico (L’adolescent, 2016) procède de la démonstration à côté d’une scène de théâtre métaphysique au plâtre sale et fantomatique qui dit son caractère illusoire. Dans le lointain, La projection du premier film Lumière d’André Raffray (1977) est une gouache réalisée pour l’émission télévisée L’Encyclopédie audiovisuelle du Cinéma Français et dont l’écran blanc permettait l’incrustation d’images animées. Présenté ainsi, sans caméra, l’œuvre révèle de façon appuyée l’artifice de sa mise en scène et de son cadrage conçus pour supporter notre propre projection. Là encore, le regard de Sarah Tritz cherche à manipuler et à désarticuler les pantins. Sur le chemin de retour, que la configuration des lieux nous conduit à engager, après avoir piqué du nez sur un cul-de-sac, le visiteur réévalue les lieux et ses cohérences. Au centre de la scène, il jette un œil à ces compartiments qui sont autant de coulisses frappées d’une lumière blanche, entre deux représentations
- « Je me suis moins sentie dans la peau d’un commissaire que dans celle d’un collectionneur qui voudrait suivre la généalogie de mon travail », citée dans Judicaël Lavrador dans « Carambolage », Libération, 16 octobre 2017, p. 28-29.
- « Qu’est-ce au fond qu’un peintre ? C’est un collectionneur qui veut se constituer une collection en faisant lui-même les tableaux qu’il aime chez les autres. C’est comme ça que je commence, et puis ça devient autre chose », Daniel-Henry Kahnweiler, « Huit entretiens avec Picasso », Le Point, octobre 1952.
- (Image en une : Sarah Tritz, Flat bed 3, 2017. Structure métallique, mousse, bois contreplaqué enduit, peinture acrylique, encre, crayons de couleur, pantalon sur mesure, 61 x 200 x 140 cm. Vue de l’exposition au FRAC-Artothèque du Limousin, Limoges. Photo : Frédérique Avril, ADAGP, Paris.)
- Publié dans le numéro : 84
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- Du même auteur : L’Anthologie de l’éternuement de Fred Ott. Flinch aux Moulins de Paillard, Alex Cecchetti au musée de Rochechouart, Stéphane Thidet, Benjamin Seror, Jibade-Khalil Huffman,
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