r e v i e w s

Spacy movie

par Etienne Bernard

Jesper Just, This Unknown Spectacle, au Mac/Val, du 22 octobre au 5 février

Le spectacle auquel le MAC/VAL nous convoque cet automne n’a pas, à l’évidence, d’inconnu que le nom. Le travail de l’artiste danois Jesper Just se joue malicieusement des frontières entre l’art qu’on s’attend à voir dans un musée et celui qu’on découvre habituellement sur une toile. De l’usage de la pellicule au travail de la lumière de plateau en passant par la direction d’acteur, les films de Just réunissent tous les mécanismes de la production cinématographique. Et pourtant, ils n’en sont pas ou pas vraiment, pas exactement. Il s’agit plutôt pour l’artiste de projeter le spectateur dans des atmosphères troubles sans trame narrative évidente mais posées par des jeux de décors précisément élaborés pour donner à voir juste ce qu’il suffit pour croire en identifier la situation temporelle et  géographique.

Jesper Just This Nameless Spectacle, 2011. Installation vidéo. Production Mac/Val, musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine. Anna Lena Films. Courtesy galerie Perrotin, Paris. © Jesper Just, 2011.

 

 

Charge à nous ensuite, face à l’écran, d’en définir l’objet (ou les objets) et ce même si la maîtrise filmique est telle qu’il est presque impossible de saisir la balle au bond pour partir dans quelques digressions diégétiques. Il nous laisse au mieux y trouver des références égrainées ici ou là aux canons du genre : Gus Van Sant, Lynch, Fassbinder, Kubrick, Visconti et même un zeste de Dogma 95. Alors s’il existe un cinéma de Jesper Just, de quoi procède-t-il au-delà du classique recyclage référentiel auquel on ne saurait réduire son approche ? L’exposition de Vitry-sur-Seine se pose comme une réponse aussi judicieuse que manifeste à cette interrogation certes un brin primaire mais également légitime. Le déplacement du médium cinématographique et de ses attributs vers le lieu d’art constitue pour le Danois une hypothèse de manipulation de l’espace de réception de l’œuvre. L’installation de The Nameless Spectacle, 2011, dernière pièce en date produite à Paris pour l’occasion, en est le parfait exemple. Pièce centrale de l’accrochage, cette flânerie néo-romantique d’une femme en fauteuil roulant dans le parc des Buttes-Chaumont se donne à voir à travers deux projections longitudinales magistrales au milieu desquelles le public se sent bizarrement invité à s’asseoir à même le sol. Le jeu systématique du champ / contre-champ force le regard à passer d’un écran à l’autre, tantôt à gauche, tantôt à droite pour suivre tant bien que mal ce qui se passe. Et c’est justement dans cet entre-deux inconfortable dans lequel il nous débarque que s’exerce l’ambivalence jubilatoire du travail de Just. Sommes-nous spectateurs ou regardeurs ? En d’autres mots, sommes-nous conviés à un spectacle comme lorsqu’on va voir un film dans l’ambiance rassurante et feutrée de la salle de projection où nous avons pris l’habitude de déléguer notre comportement au bon vouloir du réalisateur ? Ou sommes-nous bien les visiteurs d’une exposition à qui est laissée la liberté de circulation qui constitue en soi le mode de découverte critique de l’objet artistique ? La proposition de Jesper Just au MAC/VAL est délicieusement troublante dans la mesure où elle ne tranche pas cette question. Ainsi, celui qui s’imaginait flâneur comme cette mystérieuse handicapée qu’il regarde, se retrouve malgré lui dans une posture de voyeur à l’image du jeune homme intrigant sur l’écran auquel il fait dos.

Quant à parler plus en profondeur des pièces présentées, pour ceux qui reprocheraient à cet article de ne pas le faire, je répondrai ce qu’il est convenu de dire : « on ne doit jamais raconter un film à qui ne l’a pas encore vu. »

 

 

 

 


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