Supports/Surfaces, les origines, 1966-1970
Carré d’art, musée d’Art Contemporain de Nîmes, 13.10—31.12.2017
Débutant avec des œuvres qui préfigurent le mouvement, l’exposition « Supports/Surfaces, les origines, 1966-1970 » présente plus de 120 pièces, provenant pour beaucoup de collections privées ou de celles des artistes, et montrant que leur relecture est loin d’être achevée.
Si le mouvement Supports/Surfaces fait l’objet d’un intérêt accru ces derniers temps, Romain Mathieu est de ceux qui connaissent bien leur sujet. Enseignant à l’Université d’Aix-Marseille, il a achevé en 2013 une thèse intitulée « Supports/Surfaces pris aux mots : Stratégies discursives d’une avant-garde picturale. » Cette problématique autour des écrits est donnée à voir dans l’exposition de Nîmes, dont il est le commissaire, par quelques revues et tracts (Tel Quel, Cahiers marxistes/léninistes) référant au contexte politisé de l’époque, sans s’y appesantir. Car c’est davantage sur le plaisir esthétique qu’est construit ce parcours chronologique, avec de nombreuses pièces majeures, à l’exemple d’un grand châssis de Daniel Dezeuze, d’un des premiers étendoirs de Noël Dolla, d’une toile découpée de Louis Cane, d’un froissage d’André-Pierre Arnal, d’empreintes de Jean-Pierre Pincemin ou de toiles de Marc Devade, Jean-Michel Meurice et Michel Parmentier… L’ensemble s’affiche volontairement en grande quantité, suivant les accrochages que ces artistes valorisaient à l’époque. Fustigeant une conception bourgeoise de l’art représentée de manière symbolique par le tableau illusionniste accroché au mur, les œuvres devaient ainsi se répandre au sol ou pendre du plafond mais aussi se télescoper visuellement les unes les autres.
Romain Mathieu a épousé cette idée de la répétition jusqu’à présenter trois Claude Viallat dans une salle aux côtés d’un papier-peint d’Andy Warhol pour appuyer sa démonstration sur le renversement et la confrontation. « À l’époque, débute-t-il, les Nouveaux Réalistes, travaillant beaucoup sur la réappropriation, ont déclaré la fin de la peinture. Or, les Supports/Surfaces, tout en intégrant cette question de l’objet, du multiple et du déjà existant, ne vont jamais renoncer au médium. J’ai voulu l’accentuer avec le père du Pop Art, qui expérimentait ce principe de reproduction pour sortir de la peinture, quand ils ont, à l’inverse, prôné le répétitif pour montrer la diversité de leurs créations de peintres ou de sculpteurs. » Les membres du groupe se sont en effet attaqués au tableau au sens propre, tout en restant de grands admirateurs et connaisseurs de l’histoire de l’art. Pour ne prendre que l’exemple de Claude Viallat, sa forme d’empreinte assumée et réitérée lui a permis de se concentrer sur des problématiques purement picturales, en reléguant définitivement celle du sujet. Une autre partie très réussie de ce parcours est consacrée aux déploiements en extérieur et au lien sous-jacent avec le Land Art. En 1969, Coaraze et Montpellier deviennent le terrain de jeu et de scène des artistes. Une installation de Vincent Bioulès, mise en parallèle de la photographie de l’époque, ou un film d’André Valensi, au montage rythmé, témoignent de ces expériences estivales. « La légèreté, l’effervescence, le plaisir esthétique et la jubilation propres à ces années 1970 » s’affichent quand la fin de l’exposition revient sur l’intérêt, encore peu étudié, que certains nourrissaient pour l’anthropologie, le primitivisme ou le rapport à l’écriture. Ce lien très fort à la main et au matériau s’observe dans les bois de Toni Grand ou de Patrick Saytour.
La densité du propos atteste également l’ampleur des pratiques et des réflexions développées dans le temps très court, de 1969 à 1971, durant lequel le groupe est officiellement actif. Même s’ils ont continué à produire, ceux qui sont définis communément comme la dernière avant-garde en France ont amorcé dans cette période nombre de nouveaux questionnements. Les institutions hexagonales commencent à peine à leur rendre hommage et leur travail est encore plus méconnu à l’international. Mais au-delà des querelles politiques, c’est une erreur de positionnement théorique qui, selon Romain Mathieu, a entraîné cette incompréhension. « Certains membres se sont reliés à Clement Greenberg, par le biais de Marc Devade qui l’a traduit dans Peinture cahiers théoriques, ou Marcelin Pleynet, qui s’était rendu à New York. Or, le critique américain défendait une surface plate et, au cœur de cette dématérialisation ou recherche de surface trouée, il aurait été plus logique de se connecter à Rosalind Krauss. Roland Barthes ou la déconstruction de Jacques Derrida en étaient plus proches et la définition du champ élargi de la peinture et de la sculpture par l’historienne de l’art pouvait davantage intégrer Supports/Surfaces. » Toutefois, ses écrits n’étaient pas encore bien connus en France aux débuts des années 1970. Ce qui est très positif, dans le sens qu’aujourd’hui demeure à élaborer une relecture du mouvement à l’aune des courants qui jalonnaient son époque, tels que l’Arte Povera ou l’Art Minimal.
(Image en une : Vue de l’exposition « Été 69 », Coaraze. Photo : ADAGP, Paris, 2017.)
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