Surround Audience
Triennale du New Museum, New York, du 25 février au 24 mai 2015*
La troisième édition de la triennale du New Museum, « Surround Audience », invite cinquante-et-un artistes originaires du monde entier à traiter de leur position dans la société et dans le monde, dans ce qui est décrit comme un besoin urgent de ré-identification au cœur d’un environnement socio-économique et politique en perpétuelle mutation. De la poésie à la réalité virtuelle interactive en passant par des performances à Central Park et ailleurs, la curatrice Lauren Cornell et l’artiste Ryan Trecartin ont tenté réunir toutes les disciplines, tous les médiums et tous les types d’expérience visuelle et interactive dans l’enceinte du musée et au-delà.
Dans une tentative de dépeindre des cadres sociopolitiques spécifiques via une grande diversité de pratiques, le cinquième étage du musée regroupe des témoignages en provenance d’Angola, du Caire et d’Israël qui apportent un commentaire sur leurs conditions culturelles actuelles respectives. Rusty Mirage (The City Skyline) de Kiluanji Kia Henda fait en cela forte impression : ses photographies en noir et blanc figurent des installations géométriques vides qui dessinent les contours de gratte-ciel dans les déserts de Jordanie et des Émirats arabes unis. Ces formes modernistes creuses témoignent d’une désillusion face à la croissance économique rapide entraînée par les investisseurs étrangers à Luanda et dans d’autres villes au développement similaire, tout en créant des parallèles avec la tradition locale des “sona”, ces dessins tracés à même le sable, conférant à l’œuvre une allure plutôt poétique.
Le quatrième étage, qui est une réussite curatoriale, développe un peu plus ce même thème en présentant des œuvres qui semblent dialoguer les unes avec les autres autour de la question de la recherche de l’identité personnelle dans la structure mondialisée du développement technologique et socio-économique. Les meilleurs exemples en sont peut-être les broderies de Verena Dengler (Sponsors, Untitled et Performance Proletarians) dans lesquelles l’artisanat traditionnel rencontre la culture contemporaine en un commentaire de l’impact du progrès technologique sur la civilisation. La vidéo d’Oliver Laric suit sensiblement la même ligne, son usage de séquences animées soulignant cet effet via les mutations infligées à ses personnages. Quant aux subtiles structures géométriques de José León Cerrillo qui parsèment l’espace, elles créent l’impression d’une immersion et d’une exploration réellement incarnée, changeant la dimension conceptuelle en une expérience intime.
À la différence de l’étage précédent, le troisième propose une concentration d’installations d’envergure qui résulte, pour le visiteur, en l’expérience d’un espace bruyant mais à la tonalité plus simpliste. Ressemblant plus à une galerie marchande qu’à une galerie d’exposition du fait de l’absence de thème fédérateur et d’un manque cruel de dialogue entre les œuvres, il entraîne ces dernières dans une lutte pour être correctement perçues au milieu de la cacophonie visuelle et sonore. Untitled, la vidéo de Shadi Habib Allah — absolument sans rapport avec les œuvres avoisinantes — se présente comme l’étude d’une culture marginalisée et le témoignage des forces de la globalisation à l’œuvre dans une réalité toute autre que celle que nous avons tendance à fantasmer au sujet de la vie des Bédouins d’Égypte. L’artiste s’est infiltré clandestinement dans leur communauté pendant de longs mois au risque de sa vie, et en a retiré un récit poignant de la terrible situation d’un symbole culturel, sans en tirer aucune déduction anthropologique, comme seul un artiste pouvait le faire.
S’attachant au thème du progrès dans notre civilisation en relation à la nature et à l’environnement, le deuxième étage explore l’impact de ce développement sur l’espace social et public. Les œuvres les plus remarquables sont alors celles de Frank Benson (Juliana), reconfiguration d’une forme humaine en un être de métal virtuel hyperréaliste ; d’Eduardo Navarro (Timeless Alex), dont la performance à Central Park et le costume de tortue demandent avec humour la reconsidération de la vitesse dans notre monde numérique contemporain ; et de Daniel Steegmann Mangrane, dont le Phantom en réalité virtuelle offre une expérience immersive dans la forêt tropicale brésilienne et rehausse l’approche de la question de la subjectivité mise en œuvre à cet étage.
Puis l’exposition aboutit, au premier étage, à un commentaire de notre relation à la culture matérielle avec l’Island de DIS et les pièces de Lisa Holzer (But yes, but yes! et Garage Picture) dans lesquelles la matérialité se mue en forme vivante dont l’imposante présence fait allusion aux luttes de pouvoir sous-jacentes dans la culture consumériste.
Malgré une sélection d’artistes de tous horizons géographiques et générationnels et une analyse relativement complète de ses questionnements-clés, « Surround Audience » est victime de la tendance contagieuse de l’Occident à exposer les autres cultures de manière unidimensionnelle. Dans le débat actuel sur les conditions de monstration des cultures étrangères, il est essentiel de justifier de critères de diversité non-occidentale dans l’approche curatoriale qui définissent les identités culturelles et l’historicité des lieux par-delà l’apparente continuité, pour introduire et représenter des sujets sensibles à l’extérieur. Il ne nous reste plus qu’à déterminer dans quelle perspective se place cette exposition…
*partiellement visible jusqu’au 6 juillet.
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