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Wesley Meuris, le Musée des Futurs

par Alexandra Fau

Salle des Pas Perdus du Palais de Justice de Poitiers, 13.06_27.08.2016

C’est avec l’assurance de celui qui sait que le spectateur déambule confiant entre les socles vides du Musée des Futurs dans l’imposante Salle des Pas Perdus du Palais de Justice de Poitiers. Les autres visiteurs s’en remettront à la parole de la médiatrice sans toutefois cacher leur surprise ou leur étonnement face à ce projet conceptuel qui plagie les grosses ficelles de l’industrie culturelle.

L’artiste belge Wesley Meuris reprend ici la sophistication et la codification des musées passés maîtres dans la gestion de foules. Le Musée des Futurs pousse à l’extrême les impératifs d’efficience des institutions : parcours imposé, discours calibré à visée pédagogique. Si Marcel Broodthaers ou General Idea versaient dans l’anticipation riante, Wesley Meuris fait le constat implacable du « haut degré de manipulation de la perception ». Il « profane les dispositifs (c’est-à-dire le restitue à l’usage commun de ce qui a été saisi et séparé en eux)1 » qui sous-tendent ces moments d’évasion institutionnalisée.

Ses premières structures à grande échelle sous forme de cages pour animaux détournent les mécanismes d’exposition (Cage for Pelodiscus sinensis, 2006). Comme dans les scènes de zoo du peintre Gilles Aillaud où le système d’enfermement se fait par petites touches additives, le conditionnement implicite du regard s’exerce de manière complexe au sein de l’espace muséal. Brian O’Doherty écrivait : « la galerie est construite selon des lois aussi rigoureuses que celles qui présidaient à l’édification des églises au Moyen-Âge. Le monde extérieur ne doit pas y pénétrer – aussi les fenêtres en sont-elles généralement condamnées. Les murs sont peints en blanc. Le plafond se fait source de lumière […] L’art y est libre de vivre sa vie. […] Dans ce contexte un cendrier à pied devient un objet sacré, tout comme un manche d’incendie dans un musée d’art moderne n’évoque pas tant un manche d’incendie qu’une énigme esthétique. » Le dispositif muséographique dépasse aujourd’hui la création d’un environnement propice à la contemplation. Il intègre ce que Michel Foucault définit comme un « ensemble résolument hétérogène comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques ; bref, du dit aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif ».

Soucieux du moindre détail (choix du type de matériaux, de la hauteur d’accroche, rédaction des cartels avec la typographie Avenir d’Adrian Frutiger), Wesley Meuris compile les déclinaisons fonctionnalistes et instrumentales dans ses architectures fictionnelles (Congo Collection, Research Building, 2010) et ses éditions3. La scénographie prévaut sur toute forme de contenu. À Poitiers, l’artiste déroule un récit en trois chapitres autour de la vulgarisation des images du futur. Mais c’est à la commissaire d’exposition du Confort Moderne, Jill Gasparina, de « remplir le musée » en sélectionnant quelques visions de la futurologie de l’Antiquité à nos jours, organisées selon une nomenclature bien précise : scientifiques, poétiques, prophétiques, fictionnelles… Parmi les notices figure celle du Futuroscope, deuxième parc de loisirs le plus fréquenté en France, qui a peu à peu délaissé son orientation futuriste et surtout éclipsé l’aspect patrimonial de Poitiers aux yeux du grand public. Bien que de nature très différente, le musée relève aujourd’hui d’une même industrie culturelle tournée vers des visiteurs « intellectuellement moyens » : l’orientation pédagogique et éducative censée justifier les subventions publiques s’avère difficilement compatible avec les exigences scientifiques et expérimentales des conservateurs4.

L’hypertrophie des fonctions annexes à la monstration d’œuvres (communication, médiation, restauration, photographies…) en ferait presque oublier les objets d’art à contempler. Dans la Salle des Pas Perdus, les socles et les vitrines sont désespérément vides. Wesley Meuris réitère le projet mené en 2013 suite à une visite au Muséum d’Histoire naturelle de Paris (Lost in Objects) où tant d’objets ne pouvaient être présentés dans les vitrines pour diverses raisons (emprunt, raison technique ou économique, manque d’argent pour ouvrir les salles et garantir la sécurité des objets…). Au sein du Musée des Futurs, une imposante plateforme immaculée cernée de grilles d’aération et de parois vitrées (Un regard sur le futur) place le spectateur à distance alors qu’il est invité à prendre part au débat5. Ce parti-pris scénographique rejoint la pensée d’Agamben pour qui « les dispositifs doivent impliquer un processus de subjectivation. Ils doivent produire leur sujet […]. Mais aujourd’hui, processus de subjectivation et de désubjectivation semblent devenir réciproquement indifférents et ne donnent plus lieu à la recomposition d’un nouveau sujet, sinon sous une forme larvée, et pour ainsi dire spectrale6 ».

  1. Giogio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Rivages Poche, Petite Bibliothèque, 2014, p. 50.
  2. Brian O’Doherty, White Cube – L’espace de la galerie et son idéologie, (1976-1981), JRP Ringier, coédition Maison Rouge, 2008.
  3. Le livre de la fondation FEAK (Fondation for Exhibiting Art and Knowledge) créée en 2012 par Wesley Meuris réunit « les éléments caractéristiques de la forme ultime de l’industrie culturelle adaptée à l’ensemble de la planète et offrant une solution complètement intégrée de tous les services et fonctions ».
  4. « On the one hand they can be overbearing, and they may even obscure the art. On the other hand there is the increasing bifurcation between experimental, cutting-edge art and curating, and the ambition of institutions to spread art beyond social and economic boundaries ». (extrait de Maria Lind « Ten fundamental questions of curating-why mediate art », 4/10 Why Mediate Art, Avril 2011, Mousse magazine)
  5. La plateforme centrale du Musée des Futurs « est destinée à informer les visiteurs sur les visions de l’industrie globale du futur, autant que sur les discours porteurs de perceptions innovantes de la politique, de la philosophie, de la science et de la vie quotidienne. L’exposition centrale est une plateforme conçue pour le débat et l’émergence de nouvelles idées. Vos idées sont bienvenues ! Nous nous réjouissons de votre participation ! » (extrait du catalogue de l’exposition)
  6. Giogio Agamben, cit., p. 44.

Photo : Eric Tabuchi

 

 

 


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