r e v i e w s

Wilfrid Almendra, « Matériologique »

par Alexandrine Dhainaut

Fondation d’entreprise Ricard, Paris, du 26 mars au 4 mai 2013 *

Wilfrid Almendra mêle références architecturales et pratique sculpturale pour créer des œuvres composites et fragmentaires. Il puise son inspiration dans les espaces et les formes qui nous entourent mais aussi dans les travaux ou utopies socio-urbaines d’architectes du XXe siècle (Roger le Flanchec, Constant Nieuwenhuys, Whitney R. Smith, etc.). Bref, l’artiste pratique le grand écart entre le standard et le particulier, l’amateur et le visionnaire, imprégnant de complexité les œuvres présentées récemment à la Fondation d’entreprise Ricard. Les matériaux qui fondent son vocabulaire plastique sont ceux du bâtiment (verre, lambris, béton, ferraillages, crépis, fer forgé), récupérés sur des chantiers ou dans les décombres de zones accidentées, donnant aux œuvres, majoritairement abstraites ici, un aspect brut (voire brutaliste, eu égard à son usage du béton) et à l’exposition « Matériologique » une rugosité et une tonalité austère singulières.

L’artiste choletais s’est fait l’observateur de nos modes de vie standardisés et traite non sans ironie du vernaculaire, des formes propres aux quartiers pavillonnaires et des contradictions qui les animent. Dès l’entrée trône la sculpture d’un aigle sans ailes et sans tête issue de sa série des Concrete Gardens, récupération par l’artiste des décorations bon marché vendues à la pelle dans les jardineries de France et de Navarre qui ornent habituellement l’entrée des maisons individuelles et que l’artiste a troquées contre leur équivalent flambant neuf. Cette ruine moderne, symbole de la propriété privée et summum de la décoration impersonnelle, se voit réhabilitée en intégrant l’espace d’exposition, et supportée par un socle en marbre. Wilfrid Almendra aime à inverser les valeurs, une sculpture cheap et un socle précieux ; à renverser les matériaux, au point d’en modifier le centre de gravité, comme dans la série des Killed in Action. Ces bas-reliefs sont des interprétations en volume de dessins architecturaux de logements jamais réalisés et qui devaient accueillir les soldats après-guerre. Dans Killed in Action (CHS #27, Campbell and Wong), les têtes pointues de ciment qui terminent habituellement les colonnes de maisons sont ainsi placées à la verticale, la pointe face au spectateur, suspendues sur des planches de bois de récupération. De même que le béton s’élève en lignes courbes et en aplats dans les modules grossiers fabriqués en lambris de Killed in Action (CHS #5, Whitney R. Smith), jouant sur une épaisseur et une apesanteur inhabituelles des matières. La tension entre terrestre et aérien, entre maison type et utopie, est également au cœur de l’installation New Babylon. Cette œuvre fait référence à Constant Nieuwenhuys, architecte situationniste néerlandais (modèle récurrent chez Almendra) qui développa entre 1956 et 1974 le projet utopique et activiste d’une ville-monde montée sur pilotis, sur un principe de modules interconnectés, où les habitants vivraient dans un environnement entièrement artificiel et évolutif, selon un mode de vie nomade. Dans la New Babylon d’Almendra flotte un module pointu massif en bois et crépi qui surplombe une sorte de mini-estrade reprise d’un plan de masse d’une maison Bouygues standard de laquelle s’élève un improbable cyprès. Chez Almendra, la nature est à tel point domestiquée que sa présence en devient incongrue, à l’image de cette petite plante grasse enserrée au milieu d’ardoises grises dans Grand Opus.

Le rapport entre contenu et contenant anime While Waiting for The Revolution I and II. Inspirées par la forme en collerette d’un château d’eau situé non loin de l’atelier de l’artiste à Cholet, ces deux sculptures jumelles fonctionnent comme le négatif l’une de l’autre. Les coffrages en bois de la première ont servi à couler le béton qui a donné la forme de la seconde, la matière ayant gardé le passage de l’une dans l’autre. C’est enfin le lien entre dedans et dehors qui sous-tend l’ultime salle, composée d’Ordos, une installation de dalles en pierre de lave qui recouvre l’intégralité du sol (100 m2) et de huit Model Home. Ces modules mondrianesques en verre, miroir et fer forgé (issus de grilles anti-effraction récupérées sur un chantier) suspendus au mur et éclairés par des spots, créent des jeux d’ombres et de lumières séduisants, proches de l’abstraction géométrique. Mais ces fenêtres ne donnent sur rien d’autre qu’un mur blanc et renforcent le sentiment d’être extérieur à l’intérieur, symbole de l’aliénation de notre société moderne.

* commissariat : Zoë Gray.


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