r e v i e w s

Yann Sérandour

par Vanessa Morisset

Pièces pour clavecin, La Criée, Rennes, 16.09 — 19.11.2017

L’exposition monographique de Yann Sérandour a-t-elle transformé le centre d’art de la Criée en une salle de concert? Assurément, à la fois en tant qu’installation, puisque La salle des concerts est le titre donné à l’ensemble des pièces réunies dans le premier espace et, littéralement, quatre soirées de récital y ayant été organisées. Mais l’artiste a transformé les lieux en salle de concert comme il aurait pu — on l’imagine en repensant à ses œuvres précédentes — les transformer en une serre tropicale ou en tout autre chose, suivant le sujet auquel le mènent ses pérégrinations artistiques. Car ses œuvres sont élaborées à partir d’un rapport libre au savoir, allant d’un domaine à un autre sans autre lien a priori que le fil de son questionnement et les ramifications très personnelles qui s’y développent, ce qui leur procure des qualités rarement réunies, une exigence non-méthodique autant qu’une précision toute poétique. Chez Yann Sérandour, le savoir est doux et généreux.

Aussi, plus qu’un concert, l’exposition « Pièces pour clavecin » témoigne de la manière dont, pour un temps, il s’est improvisé spécialiste de l’instrument star du xviiie siècle. S’intéressant à la destinée singulière que connaissent certains objets, parfois érigés en rareté, parfois tombés dans l’oubli, l’artiste s’est focalisé sur cet instrument supplanté par la mode du piano au début du xixe siècle et pour lequel néanmoins un grand nombre des morceaux pour clavier que nous connaissons ont été écrits. Plus précisément, Yann Sérandour dit être arrivé au clavecin en découvrant son revival survenu à la fin du xixe, lorsqu’après un siècle d’oubli et même de destruction au point de ne plus savoir non seulement comment il sonne mais comment le fabriquer, des musiciens l’ont exhumé en cherchant à retrouver son authentique sonorité. Cette histoire est au cœur de l’exposition, avec notamment la présence d’un clavecin fantomatique, dans les deux salles. Dans la première, La salle des concerts donc, il apparaît sous la forme d’une grande marionnette mobile à travers l’œuvre intitulée Pièces pour clavecin (piètement Louis xvi), 2017 : des pieds de clavecin faisant partie d’un kit de l’instrument à monter soi-même sont suspendus en l’air, fixés par fils de laiton à une croix d’attelle. Les soirs de récital, un autre clavecin, opérationnel, est installé à côté, tel un double réincarné. Dans la deuxième salle, Le salon d’écoute, les autres pièces du kit sont exposées telles quelles, donnant à voir un clavecin virtuel que l’on s’amuse à reconstituer en pensée. Devant cette installation, deux fauteuils de style Louis xv dégarnis, comme des structures dessinées dans l’espace, prolongent cette impression de virtualité. Puis, dans la même salle, la quête d’authenticité est aussi évoquée avec Dual Truth (2017) une installation sous vitrine où est présentée en double exemplaire la pochette d’un disque chiné par l’artiste, intitulé par son éditeur Vérité du clavecin. Comme pour tester cette vérité, non loin des pochettes, Yann Sérandour a branché deux platines vinyles pourvues des deux disques, activables ensemble, à la manière des deux célèbres horloges de Félix González-Torres, Perfect Lovers. Parfaitement synchronisée au début, la lecture des pistes se décale peu à peu, donnant lieu à une nouvelle composition musicale, un remix de clavecin en quelque sorte. Dans ce sens, la musique, et même la création musicale, est bien présente dans l’exposition que l’on peut de ce fait rattacher aux recherches en arts sonores.

Plus largement, d’autres pièces font allusion au contexte culturel de l’âge d’or du clavecin, par exemple le sol à damier des peintures de genre où est souvent représenté l’instrument, ici évoqué sous la forme d’un échiquier rebaptisé par l’artiste Dance Floor, ou encore le rose des étoffes dans les peintures de Watteau qui recouvre le mur du fond de la première salle ou qui domine sur l’affiche présentée dans l’exposition. Celle-ci n’est d’ailleurs autre que l’annonce des concerts — avec au programme de grands clavecinistes — auxquels le public est gratuitement convié. Enfin, on notera la présence d’un intrus placé sur l’échiquier, un élément qui n’appartient pas au monde de la musique puisqu’il s’agit d’une petite niche en bois. Elle renvoie à de précédents travaux de l’artiste sur la domestication des chiens, tout en pouvant être envisagée ici comme la maison d’un amateur de clavecin à quatre pattes, espace fictif dans l’espace réel ou passage secret conduisant à d’autres projets artistiques.

Quoiqu’il en soit, grâce à cet imaginaire qu’elle éveille à partir de l’histoire d’un objet, l’exposition apporte un bel exemple de ce qu’est l’activité d’un artiste parmi les autres champs de l’activité humaine, une manière de s’ouvrir à eux et de les revisiter dans ce qu’ils ont de plus singulier avec une grande liberté.

(Image en une : Vue de l’exposition « Pièces pour clavecin », La Criée, centre d’art contemporain, Rennes, 2017. Production : La Criée. Photo : Benoît Mauras.)


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