Bivouac, après naufrage
Polarium, Fabrique Pola, Bordeaux, du 11 juin au 11 juillet 2015
« Le plus haut degré de la sagesse humaine est de savoir plier son caractère aux circonstances, et se faire un intérieur calme en dépit des orages extérieurs. » Lorsque Daniel Defoe fait écrire ces mots à Robinson Crusoé, l’auteur britannique évoque à la fois la grotte protectrice dans laquelle s’est réfugié son échoué et le retour à soi et en soi que cette situation et cet abri de fortune augurent. En plantant son décor précisément après le naufrage, l’exposition organisée par Lieu-Commun (Toulouse) au Polarium de la Fabrique Pola (Bordeaux) — échange inter artist run spaces — tente de traduire l’ambivalence des sentiments, entre angoisse et ivresse de la solitude, à travers le thème du bivouac, comme forme et champ lexical. À travers des œuvres existantes et des productions réalisées pour l’occasion à partir de matériel récupéré et détourné par de jeunes artistes midi-pyrénéens, « Bivouac, après naufrage » évoque à la fois le mythe de la cabane et ce désir d’ailleurs.
Après avoir consulté la carte sur peau de vache (Cow’llapse, Camille Henri Clément), représentant un campement primitif fantasmatique qui se joue des échelles, on largue donc les amarres à bord d’un bateau de fortune qui ambitionnait modestement de suivre les pas des vikings (Drakkar, par le collectif Régates & Histoire(s)), pour un voyage immobile en compagnie de quelques canettes de bière vides et des conseils bien-être de Rika Zaraï (le véritable guide de survie en milieu hostile). Le pouvoir d’évocation de l’art fait décoller l’imaginaire : entre une installation minimaliste de planches bicolores posées contre le mur que l’esprit associe évidemment à une petite barque, tout droit sortie d’un épisode du Club des Cinq (L’Année des méduses (surfaces honnêtes) de Julien Tardieu), une peinture murale de vagues bleues stéréotypées tracées à intervalle régulier (Vagues, Marie-Joanna Cornut) et un arc-en-ciel sur bâche géante (Nom de domaine, Marianne Plo), on navigue à vue entre ciel et mer.
Au centre de l’espace, un sol de béton accidenté (Concrete Jungle du collectif ÎLEMERFROID), s’étend en dalles, version portative de la fameuse « terre en vue » que les marins traquent à la longue-vue. Une fois accosté, le naufragé explore le territoire : Laurie Charles teinte d’exotisme sa déambulation nocturne dans la végétation lors d’une résidence à Vassivière qu’elle filme en caméra subjective et à la lampe torche (Bégonia Jérôme) ; la sélection de photos de Gaël Bonnefon, entre fiction et document, à la noirceur toute romantique, semble mettre en scène un homme nu revenu à l’état de nature, sorte de marginal traqué ou qui, au contraire, observerait la civilisation depuis les fourrés dans lesquels il se serait réfugié. En terre hostile, mieux vaut savoir maîtriser le système D. Le bivouaqueux / l’artiste construit donc sa cabane de peu, dans une esthétique de bric et de broc et néanmoins stylisée (an end can be a start, Manuel Pomar, qui prend des allures ici de tour de guet disco-pop), avec suffisamment d’appendices extérieurs pour y faire sécher bas et chemises au gré du vent(-ilateur). Il fabrique aussi des objets fonctionnels à l’image de cette série de flotteurs obtenus à partir d’un assemblage minutieux de crayons de couleur et fuselés au tour à bois (Marie Sirgue), ou des Dermographes (Camille Henri Clément), machines à tatouer artisanales, ou ceux qui lui rappelleraient le monde qu’il a laissé derrière lui (Rémi Groussin, A_STTAR_IS, reconfigurations en néons d’anciennes enseignes lumineuses). Et sans les objets de mesure qui peuplent le monde, la perte de repères est inévitable. Dans la double projection Ce n’est plus du réel, c’est devenu un souvenir, Béatrice Utrilla associe monologue écrit d’un narrateur évoquant des souvenirs réels ou fictifs dans une confusion des temps, à des scènes de surf et de ressac nocturnes.
Malgré une forme globale convenue, avec son bon dosage de wallpapers, dessin mural, installations, vidéos, sculptures, « Bivouac, après naufrage » dégage une belle énergie, de celles dont les artist run spaces font souvent montre, avec son accrochage soigné et son économie de moyens.
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- Du même auteur : Alejandro Jodorowsky, Lumière noire,
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