Elaine Sturtevant au Musée d'Art Moderne

par Sarah Ihler-Meyer

« Le plaisir de la boucle »

par sarah Ihler-Meyer

Bien avant Mike Bidlo et Sherry Levine dans les années 1980, Sturtevant met au cœur de son travail la reproduction à l’identique d’œuvres majeures de l’histoire de l’art. Ainsi, exposant des répliques exactes  de la Chaise avec coin de graisse de Joseph Beuys, de L’Urinoir de Marcel Duchamp ou encore d’Untitled (America) de Felix Gonzalez-Torres, la rétrospective qui lui est actuellement consacrée au MAM se présente comme une sorte de récapitulatif des moments clés de l’art moderne et contemporain. Un petit train fantôme intitulé House of Horrors donne le ton en faisant surgir de l’obscurité des fac-similés d’œuvres de Paul McCarthy, de Bruce Nauman mais aussi de simples squelettes et avatars de Frankenstein.

Blow Job, 2006.

vue partielle de l'exposition Duchamp 1200 Coal Bags et autres pièces.

vue partielle de l'exposition

Fresh Widow, 1992.

Fresh Widow, 1992.

Ces apparitions surprenantes miment la déroute dans laquelle les œuvres de Sturtevant plongent le spectateur: s’agit-il d’un original, d’une réplique? Sommes nous dans le vrai ou le faux? Pour être amusant, ce jeu avec l’authenticité des pièces exposées n’en n’est pas moins réflexif. Ce qui se joue dans ces œuvres-citations n’est autre que la question du rôle de l’originalité et de la signature dans la carrière d’un artiste.

En effet, choisir de ne pas produire d’œuvre originale revient pour Sturtevant à agir en sociologue de l’art, en révélateur des représentations mentales du « véritable artiste ». Les catégories héritées de l’époque romantique et survivant encore de nos jours – « authenticité », « originalité » et « singularité » – restent les conditions nécessaires pour être un créateur digne de ce nom.

La preuve en est donnée par le réflexe de tout spectateur averti face aux œuvres de Sturtevant : mettre une étiquette sur celles-ci, leur coller le nom d’un artiste connu. C’est que, précisément, les créateurs cités ont tous développé un style qui leur est propre, une « marque » de fabrique consubstantielle à leur statut. L’élaboration d’une « manière » originale leur a été incontournable pour être reconnus en tant qu’artistes, sinon en tant que « monstres sacrés » de l’histoire de l’art. Or ce critère est perturbé au moment même où le spectateur identifie les citations de Sturtevant.

Mais, chez cette artiste, la notion d’originalité n’est pas tant mise à bas que déplacée. Puisque d’un point de vue matériel et visuel les œuvres de Sturtevant sont similaires à celles auxquelles elles renvoient, la singularité de l’artiste ne se joue plus au niveau plastique mais au niveau conceptuel. La signature n’est plus à chercher du côté de l’esthétique mais du côté des procédures, en l’occurrence réflexives, la reprise étant pour Sturtevant un moyen pour interroger les critères définitionnels de l’artiste.

Exposition « Sturtevant. The Razzle dazzle of thinking ».

Musée d’art moderne de la Ville de Paris, du 5 février au 25 avril 2010


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