Fayçal Baghriche au Quartier

par Marianne Derrien

Fayçal Baghriche

Quelque chose plutôt que rien

par Marianne Derrien

Sur une invitation de Keren Detton, directrice, Le Quartier à Quimper présente la première exposition personnelle d’envergure de Fayçal Baghriche, avec un ensemble de nouvelles pièces produites pour l’occasion. C’est dans les espaces publics et lieux de transit que s’immisce habituellement Fayçal Baghriche. Relecture des modèles culturels et des catégories artistiques, ces œuvres aux symboliques fortes procèdent d’une exploration des formes et de leurs interprétations.

Tentative de repeindre le mur de Berlin avortée par un citoyen allemand

L’exposition s’ouvre sur l’installation in situ, 20 ans de peinture, qui dévoile les couches successives de peinture appliquées sur les murs et les cimaises qui ont rythmé les activités du centre d’art. Ces grands pans de murs gris et blancs racontent leur existence faite de pliures et de fissures. Cet hommage à la peinture invite, dès le départ, à une réflexion sur le « faire artistique ». Comme le souligne Fayçal Baghriche, l’art naît de la formulation d’hypothèse « Et si … »[1]. L’action photographiée Tentative de repeindre le mur de Berlin avortée par un citoyen allemand se répercute, quant à elle, dans l’espace social et historique berlinois. Fayçal Baghriche repeint en blanc une partie du mur de Berlin, sur lequel les tags ont acquis une valeur historique. Déjouant le vandalisme initial des tagueurs, cette mainmise ne peut être que tentative… Fayçal Baghriche est bel et bien un « fauteur de trouble »[2].

Jooj

Jooj

Développant cette dynamique jusqu’à sa propre histoire personnelle, certaines pièces révèlent la double origine de l’artiste, français et algérien. Jooj est une sculpture faite de billots de boucherie halal appartenant à deux frères, posés sur un socle blanc. Symétriques et jumelés, les deux objets restés bruts ont été réalisés grâce aux gestes de labeur. Faite de ces aspérités liées au travail manuel, cette sculpture s’apparente à une forme géologique tout en flirtant avec les codes de l’art minimal.

La vidéo Les grottes merveilleuses, réalisée lors de la visite d’une grotte en Algérie, met en lumière avec humour le « retour au pays » : les stalagmites et autres concrétions y apparaissent comme de nouveaux symboles issus de la culture occidentale. Fantasque et éloquent, un guide touristique se joue d’analogies avec ce répertoire de formes énigmatiques. La visite guidée, bande sonore de la vidéo, souligne la fabrication d’un discours construit sur un ensemble de clichés et de symboles d’une culture fantasmée.

À mi-parcours, cette vidéo oriente la suite de l’exposition vers une vision de l’art comme emblème. Avec l’installation Enveloppements, allée de 28 drapeaux enroulés sur eux-mêmes ayant en commun la couleur rouge, la charge révolutionnaire de chaque drapeau n’en est que renforcée. Aucun des ces 28 drapeaux ne marque ni ne définit un territoire, seules les sensations de renfermement et de repli sur soi sont dévoilées.

Au delà des notions de recouvrement et d’effacement, Fayçal Baghriche réalise le montage d’un film-étendard Le Message dans lequel il croise et fait se répondre les deux versions – l’une arabe et l’autre américaine – de ce péplum des années 70 retraçant la naissance et l’essor de l’islam à l’époque du Prophète.

Plus discrètement, l’installation Half of what you see se découvre dans la dernière salle. Une boule à facettes placée au plafond virevolte ; il ne reste plus qu’une facette sur laquelle reflète la lumière d’une torche électrique suspendue.

Cette vision cosmique renvoie au titre de l’exposition « Quelque chose plutôt que rien », extrait des réflexions de Leibniz sur la création de l’univers et de l’ordre du monde.

La dimension philosophique et métaphysique se concrétise dans les gestes quotidiens et décalés de Fayçal Baghriche, renforçant la valeur d’un art pragmatique et distancié.


[1] Entretien avec Fayçal Baghriche, Out of Business, par Matthieu Clainchard, revue Laura n°8, 2009 – 2010.

[2] Fauteur de trouble, titre du texte de Michèle Cohen Hadria sur Fayçal Baghriche.


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