Jean Bedez ou le réalisme assumé
Jean Bedez, L’Art du combat, du 06 septembre 2014 – 04 octobre 2014.
Galerie Suzanne Tarasieve, 7, rue Pastourelle, 75003 Paris.
On connaissait peut-être davantage son corpus de sculptures, mais Jean Bedez est revenu, pour son exposition monographique chez Suzanne Tarasieve, avec un ensemble de dessins sur les thèmes de différents combats, témoignant d’un travail engagé dans des références subtiles quoique très assumées.
Souvent, lorsqu’on demande aux amateurs de dessin pourquoi ils privilégient ce médium, la réponse évoque la probité du premier jet de l’artiste et l’impression d’être au cœur du processus créatif. En ce sens, les œuvres de Jean Bedez, quand bien même leur technique se définit par « Dessin à la mine de graphite, papier Canson 224g/m2 », nourrissent un autre rapport au temps et à la matière. Car sa moyenne passée devant chaque feuille s’élève de 600 à 800 heures, avec – et cela n’est pas un record qu’il tente de battre, même s’il travaillait auparavant, dans ses sculptures, des sujets liés au sport – un total de 1600 heures pour Le Cénacle. Particulièrement pour cet Art du combat qui siégeait dans le Marais, Jean Bedez a rapproché ce temps de celui passé aux échecs, auxquels il joue quotidiennement, avec un triptyque ayant donné le nom de l’exposition et représentant le moment historique où l’Américain Bobby Fischer remporte le titre de champion du monde, après 20 ans d’hégémonie russe. Le temps est aussi celui que va mettre le visiteur à découvrir l’œuvre et ses multiples détails, par une facture d’apparence classique, mais dont les sujets sont totalement ancrés dans l’ère du 21ème siècle. Les multiples couches, inspirées du sfumato de Léonard de Vinci, aident à plonger dans ces profondeurs et volumes invoquant aussi la sensualité de certaines représentations de Robert Longo. Tandis que les lignes de fuite, les clairs-obscurs ou les sources lumineuses éclatantes, résultant uniquement du blanc du papier, guident le regard au sein de ces formats qui renvoient à la traditionnelle peinture d’histoire afin d’englober le spectateur pour l’emmener de la forme au fond. Mais qu’y voit-on dans ce fond ?
Qu’Et voici qu’apparut à mes yeux un cheval blanc… met en exergue l’alibi des religions pour mener leurs conquêtes de territoires grâce à la reproduction du vitrail à l’effigie de l’explorateur René Robert Le Cavalier de la Salle, le dernier à avoir brandi la croix du Christ sous le nez des Amérindiens. Qu’Alors surgit un autre cheval, rouge-feu… s’inspire de l’Apocalypse de Saint Jean, mais se passe en Lybie, quand Stabat Mater Dolorosa sensibilise sur le rapport de l’homme à la nature.
« Je poursuis cette histoire de la civilisation, relate Jean Bedez, toujours dans un rapport au temps que j’étire de 1500 jusqu’à 2100, en portant un regard, soit politique, économique ou social, sur la société dans laquelle j’évolue. Nous avons la chance d’être de réels orateurs du 21ème siècle, car l’on écoute et regarde vraiment les plasticiens aujourd’hui. Il n’est que de voir le déchaînement des passions autour de The Tree, de Paul McCarthy. D’ailleurs, lorsqu’on m’invite à venir parler de mon travail, j’évoque toujours des sujets plus généraux, liés au Citoyen. » Et de conclure par le temps dévolu pour donner du sens à chaque œuvre, qui induit, par obligation, tous ces dessins qui n’existeront pas…
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- Du même auteur : Entretien avec Céleste Boursier-Mougenot, Xavier Veilhan, Music, Le musée d’une nuit, Entretien avec Vincent Olinet ,
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