La 5e édition de la Biennale d’Anglet
Biennale d’art contemporain d’Anglet, 25 mai – 1er septembre 2013. Divers lieux
Anglet est une petite station nichée entre deux monstres balnéaro-basques : Biarritz à l’ouest, Bayonne à l’est. Difficile de rivaliser avec le glamour de la cité biarrote d’un côté, la temporada bayonnaise de l’autre si en plus l’on n’est pas en première division de l’ovalie… ce qui n’est pas le cas d’Anglet dont on comprend mieux les efforts déployés en direction de l’art contemporain pour se faire connaître en dehors de la trilogie basque gagnante rugby-surf-corridas. L’hypothèse de créer une biennale d’art contemporain dans ce contexte relève d’un certain courage et l’on aurait pu comprendre que les organisateurs optent pour une sélection pas trop risquée d’artistes consensuels ayant déjà fait leur preuve ailleurs et susceptible de « convaincre » un large public. Or la programmation déployée par l’opérateur en chef Didier Arnaudet ne fait pas vraiment de concessions en direction « des » publics comme en témoigne l’invitation faite au pavillon du palais de Tokyo, réputée pour être un endroit plutôt expérimental. Par ailleurs la présence de très jeunes artistes comme Fanny Maugey qui s’est vue confier la réalisation d’une pièce importante sur la promenade côtière, Rotation 1 côtoyant des artistes aguerris comme Mathieu Mercier ou Ange Leccia, montre que les organisateurs jouent le jeu de la découverte. Comme nombre d’événements semblables, il s’agit effectivement de déployer sur le territoire de la commune, dans sa diversité patrimoniale, des pièces qui si possible, résonnent, étonnent et/ou perturbent le visiteur dans sa déambulation. Sans rentrer dans un débat passionnant sur les problématiques liées à la présence de l’art dans l’espace public, nous pouvons considérer qu’une manifestation telle que la biennale d’Anglet – qui n’est pas inscrite dans le circuit international des biennales où tous les projecteurs sont braqués sur les moindre choix des commissaires pour décrypter la dernière tendance – remplit son contrat quand elle laisse une totale liberté au curateur dans le choix des artistes et de leurs œuvres et ne cherche pas à trop contrôler l’événement dans le sens d’un nivellement du projet artistique.
Or à Anglet, il faut admettre que ces exigences a minima sont respectées et même vont au-delà de ce qu’on pourrait attendre : la pièce de Laurent Kropf, Ludwig sur la route, par exemple provoque une quasi rupture phénoménologique en mettant en compétition une communication de type promotionnelle avec des éléments appartenant au vocabulaire visuel de l’art sur les lieux mêmes de cette communication (le parking d’un supermarché), créant ainsi quelque chose de l’ordre de l’hallucination visuelle. Mais cette intrusion dans l’ordre des choses est encore plus efficace avec l’occupation d’un stand de vente d’écrans de TV où ces derniers sont mobilisés pour diffuser une sélection de films d’artistes [1] : Gerry Schum [2] pourrait se retourner dans sa tombe, lui qui avait toujours rêvé d’infiltrer les canaux de diffusion des émissions télévisuelles avec des films d’artistes : ici, on va encore plus loin puisque l’on s’attaque à la source de la diffusion, dans la phase « d’essayage » par les clients amenés à tester leurs futurs supports à partir de films expérimentaux… La Parade Moderne de Clédat & Petitpierre, performée le jour du vernissage, était elle aussi particulièrement réussie dans la mesure où elle reprenait les codes habituels de ce type de manifestation populaire, type les grosses têtes du carnaval, mais en amenant des personnages et des figures tirées de grandes œuvres peintes de la première moitié du XXe siècle, tels Arp, Chirico ou encore Brauner : là encore l’effet hallucinatoire est garanti face à des apparitions dont l’origine et les références sont quasiment impossible à établir.
Enfin, dans sa phase plus conventionnelle d’investigation de l’espace public, le long d’une promenade de bord de mer, les pièces déployées le long de ce parcours sont également remarquables ; à noter en particulier les œuvres de Vincent Ganivet, Contremesure, qui porte bien son nom, sorte de boule de pétanque géante dont la démesure détonne efficacement avec le paysage alentour, Le bouquet de Mathieu Mercier, qui a réellement des allures d’une composition florale dont il surjoue la proximité formelle entre lampadaires et tige de fleur ou encore Belle Epoque de Juan Azpitarte qui symbolise assez bien l’esprit de cette biennale comme tout projet dans l’espace public par ailleurs : de petits îlots mi-domestiques, mi-sauvages dont tout le talent de l’artiste consiste à entretenir le doute sur leur statut.
- ↑ les films ont été réalisés et produits eu sein de l’école d’art des Rocailles
- ↑ Gerry Schum, l’inventeur de la Fernsehgalerie, a été le premier à diffuser des films d’artistes sur la télévision allemande, en 1969. Il a notamment contribué à rendre célèbre le terme de Land art grâce à son émission éponyme. Il est surtout considéré comme l’un des pionniers de la diffusion de l’art contemporain à grande échelle, s’adressant à un public qui dépasse de manière incomparable son audience habituelle.
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- Du même auteur : À propos de MAD, entretien avec Sylvie Boulanger, Prix jeune création 2014 : Oriane Amghar, Rosson Crow, L’avant-garde est-elle (toujours) bretonne ?, Par les temps qui courent au LiFE, Saint-Nazaire,
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