Le musée d’une nuit
Le musée d’une nuit, Fondation Hippocrène, du 03 octobre au 20 décembre 2014. fondation-hippocrene.fr
12 Rue Mallet-Stevens, 75016 Paris.
Dans le livret du Musée d’une nuit, Vincent Honoré, son commissaire, précise que le récit La Blonde et le bunker, signé Jakuta Alikavazovic a accompagné dès son origine la composition de l’exposition. L’ancienne agence d’architecture de Robert Mallet-Stevens, qui accueille près d’une vingtaine d’artistes issus d’une partie de la collection David Roberts, l’a aussi guidée et emmène, particulièrement dans ce cadre, à la question de la beauté et du goût.
Car au premier regard, la liste d’artistes présentés ou le choix de leurs pièces et l’accrochage du Musée d’une nuit sont tout simplement parfaits. Trop parfaits ? Le lieu lui-même s’est imposé pour dérouler cette histoire. « Dès que l’on passe la porte dessinée par Jean Prouvé, débute Vincent Honoré, on se retrouve en effet dans une œuvre d’art qui évoque aussi le rapport à la ruine. L’exposition a été construite de manière métonymique, en commençant par Tamara de Lempicka et Man Ray, en lien direct avec l’époque. Puis un masque de Martin Boyce, dont le travail est inspiré des frères Martel, s’est imposé, en emmenant un autre de Pierre Huyghe, instrumentalisé ici comme une œuvre Art Déco. De points en contre-points, un corps sans tête de Sarah Lucas m’a guidé vers un bronze de Benoît Maire quand la domesticité du lieu et l’empreinte des murs ont appelé les peintures de Sergej Jensen ou celles de Ayan Farah. »
En baissant les yeux, on découvre encore une moquette de Renaud Jerez, référant au film Metropolis et à la machinerie qui donnera lieu à l’horreur de 39-45. C’est alors, en réalisant un second tour dans cette exposition silencieuse et à l’éclairage ténu, que la lecture des œuvres se fait autre. Qu’il apparaît que tous les masques présentés sont occultés de regard, que les sculptures de Michael Dean ou Enrico David renvoient à des corps incomplets, morcelés ou informes, que la vanité de Rosemarie Trockel invoque la mort… Ou encore que même la bâtisse a été violentée, comme nombre des créations dénaturées de Mallet-Stevens. « Cet architecte, poursuit Vincent Honoré, est un peu le symptôme des utopies modernistes qui vont s’achever avec la Seconde Guerre mondiale.Or la Fondation Hippocrène, qui possède ce lieu, a pour but de favoriser les actions européennes et il me semblait intéressant en ce moment où l’Europe sombre, d’interroger ces fantômes qui resurgissent et entraînent des situations critiques du point de vue moral, intellectuel et politique. » Par ailleurs directeur de la DRAF (David Roberts Art Foundation), le commissaire travaille alors cette idée de la ruine, la perte et l’abandon au sein d’une violence camouflée, « un peu bourgeoise », dans laquelle tout semble très lisse en surface. On revient à cette notion du goût, d’autant plus pertinente quand il s’agit d’une collection privée, qui n’a jamais à se justifier, par définition. Au sein de ce lieu magnifique mais abîmé, s’est construit un récit fait de contradictions et tensions, avec des travaux qui séduisent, mais dérangent aussi dans leur part maudite, s’il fallait paraphraser Georges Bataille. Et l’on sentirait presque le parfum d’une très belle femme, dont émanerait un danger imminent, bien caché…
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- Du même auteur : Entretien avec Céleste Boursier-Mougenot, Xavier Veilhan, Music, Jean Bedez ou le réalisme assumé, Entretien avec Vincent Olinet ,
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