Nous ne vieillirons pas ensemble

par Camille Paulhan

« Nous ne vieillirons pas ensemble », ou l’art de transformer un titre doucement mélancolique en une série d’expositions réussies athématiques, sans démonstration laborieuse, mais avec une ligne directrice intelligente et sensible : tel était le défi du Label Hypothèse, petite nébuleuse (presque) anonyme de commissaires.

Le cycle qui se termine actuellement à la galerie de multiples à Paris clôt une série de huit expositions. Les lieux choisis, des galeries émergentes à celles plus confirmées en passant par l’investissement de la Générale en Manufacture, ont réussi à faire émerger dans leur diversité un véritable engagement dans le choix et la présentation des œuvres. Pour ces différentes propositions, il semble qu’à chaque fois les lieux ont été investis de manière à créer une dynamique entre des sites très différents, de l’espace démesuré de la Générale aux espaces à deux étages (Galerie Marion Meyer, Galerie Bertrand Grimont…) jusqu’à parvenir au petit espace atypique et délicat à investir de la galerie de multiples.

Nous ne vieillirons pas ensemble, vue de l'exposition, courtesy GDM

Nous ne vieillirons pas ensemble, vue de l'exposition, courtesy GDM

Chacune des huit expositions a fonctionné comme un écho tout autant qu’une nouvelle suggestion en rapport avec les autres. Les artistes se croisent et, à l’exemple des membres du label, disparaissent ou réapparaissent selon les accrochages. Les générations (puisque c’est bien ce que le titre nous promettait) se chevauchent, entre les fantômes d’artistes emblématiques (Felix Gonzalez-Torres par exemple), les artistes dont l’œuvre a pu profondément marquer la génération actuelle (Claude Rutault, Lawrence Weiner, François Morellet…) et les petits nouveaux (Estefania Peñafiel-Loaiza, Grégoire Bergeret ou encore Pauline Bastard). Et pourtant, les œuvres semblent avoir été choisies pour elles-mêmes, et non pour les noms qui les accompagnent, leur restituant ainsi leur unicité et leur intérêt. Exit Michel Verjux pour une proposition sur la lumière ou Rutault sur la peinture : ici, leurs œuvres, mises en contact avec d’autres productions, semblent pour le spectateur éclairées sous un angle nouveau. Et si les commissaires du label ne souhaitent pas se substituer aux artistes, leurs expositions n’en restent pas moins des ensembles qui frappent par leur cohérence. Les jeux sur les connivences entre matériaux, formes et intégration de l’espace éclipsent à mon sens (et avec bonheur) l’orientation minimaliste/conceptuelle revendiquée par le label et ses commentateurs, n’en déplaisent à certains.

Si l’on en revient à la dernière exposition à la galerie de multiples, il est intéressant de voir comment les artistes choisis ont réussi à s’adapter à la contrainte (réaliser des multiples) tout en la contournant afin de mieux l’interroger : ce sont, par exemple, les chewing-gums dorés à la feuille d’or de Bastard, que l’on imagine consciencieusement mâchés à la chaîne par l’artiste, ou encore les dé/multiples de Claude Rutault, fantaisie inspirée d’une d/m bien réelle mais cette fois-ci légèrement moquée (la peinture a été remplacée par un simple papier marouflé). Là encore, les jeux de matériaux sont à l’honneur : la pesanteur apparente de l’œuvre de Vincent Mauger contraste avec le matériau qui la constitue, le polystyrène, tandis que l’œuvre de Cécile Bart révèle de plus près sa nature et sa légèreté, par deux carrés de tissu superposés. Les formes s’opposent et se répètent : au disque lumineux de Michel Verjux s’opposent bien entendu les rectangles des d/m de Rutault, faisant eux-mêmes écho aux carrés de Bart. Et les dessins aux prises carbonisées de Tatiana Trouvé renvoient aux barreaux de bois de John Cornu, noirs et comme rongés par le feu. Et pourtant, là encore il ne s’agit que d’un faux-semblant, le bois étant peint et sculpté à la main. Enfin, l’ensemble se clôt sur deux œuvres décalées tant elles semblent s’être adaptées à leur identité de multiple, que l’on pourrait s’offrir pour orner une étagère ou un mur d’appartement : c’est ainsi la reprise d’une proposition antérieure de Julien Mijangos, des élastiques non plus géants et stabilisant des façades comme à la Générale, mais miniaturisés et quasiment dérisoires dans une bibliothèque, ainsi que les pots de peinture de Ninar Esber. Ces derniers nous donnent à voir des couleurs supposément obtenues en mélangeant les couleurs des drapeaux des différents pays du monde. Les fiertés nationales deviennent de simples couleurs de salle de bain : Bleu-blanc-rouge n’est qu’une autre manière de montrer un rose pâlichon. Vous reprendre bien un peu de violet Afghanistan pour les murs de la cuisine ?

Espérons que l’équipe de commissaires poursuivra ses expositions de qualité, avec à chaque fois des surprises et des redécouvertes. Ah, la belle hypothèse…

« Nous ne vieillirons pas ensemble »
Une proposition du Label Hypothèse
GDM, la galerie de multiples
Jusqu’au 14 mai 2010


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