Seconde main au Musée d'art moderne
Dans le prolongement de «The Razzle dazzle of thinking» consacrée à Sturtevant, «Seconde main» interroge la notion d’originalité en infiltrant des copies au sein des collections permanentes du MAM. Après Marcel Duchamp et Andy Warhol, les artistes des années 1980 aux années 2000 présentés dans cette exposition agissent en sociologues de l’art.
Si «l’impératif de singularité est indissociable du monde vocationnel qui est devenu celui de l’art à l’époque moderne»[1], quelle peut bien être la pertinence d’ «œuvres-sosies»? Sans doute la réponse est-elle donnée par la pionnière de l’ «appropriationnisme», Elaine Sturtevant, lorsqu’elle déclare «aller au delà de la surface de l’art, mettre à l’épreuve sa structure sous-jacente»[2].
En effet, qu’il s’agisse de la Croix noire de Nicolas Chardon, du Tableau suisse de Yann Sérandour, de Still untitled de Mathieu Mercier ou encore de Not Picasso de Mike Bidlo, l’enjeu de ces répliques ne réside pas dans leurs apparences extérieures, similaires aux œuvres originales, mais dans ce qu’elles révèlent. Alors que l’époque classique valorise la tradition et sa continuation à travers les ateliers de Maîtres et leurs cortèges d’apprentis, l’âge moderne consacre la rupture avec le passé comme gage du véritable artiste, toujours singulier et authentique. Or, en copiant les œuvres d’autres artistes, c’est précisément la promotion de l’originalité que dévoilent et mettent en crise les créateurs de «Seconde main».
En ce sens ils s’inscrivent paradoxalement dans une tradition, celle inaugurée par Marcel Duchamp et d’Andy Warhol qui ébranlèrent les notions de «fait-main», «d’unicité» et d’ «authenticité» en important des procédures industrielles dans le monde de l’art. Tout comme ces deux artistes, l’absence d’originalité des «vrais-faux» de Jonathan Monk ou de Sherrie Levine révèle l’un des principes directeurs de l’histoire de l’art, communément organisée autour des figures les plus singulières d’une période donnée. Aussi, l’originalité ayant pour corollaire la notion de «signature», s’attaquer à elle revient à s’en prendre au marché de l’art.
Mais peut-être faut-il se méfier des apparences, car, loin d’abolir la notion d’originalité, les artistes de «Seconde main» la déplacent. La signature ne réside plus dans l’aspect matériel de l’œuvre mais dans le concept qui la sous-tend, l’originalité n’est plus à chercher du côté de la plastique mais des procédures, en l’occurrence réflexives: «rendre visible le dissimulé, s’éloigner de la surface des objets vers leur structure sous-jacente»[3].
En d’autres termes, comme nous l’a enseigné Arthur Danto en réponse à Nelson Goodman, la valeur de la copie tient à l’intention et à l’interprétation qui l’innervent davantage qu’à une hypothétique valeur esthétique[4].
Seconde main au Musée d’art moderne de la ville de Paris, du 25 mars au 24 oct. 2010
[1] Nathalie Heinich, Le Triple jeu de l’art contemporain, Les Editions de minuit, 2006.
[2] Elaine Sturtevant, The Razzle dazzle of thinking, ACR/Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, JRP-Ringier, 2010.
[3] Ibidem.
[4] Arthur Danto, « Contenu et causalité », La Transfiguration du banal, Seuil, 1989.
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- Du même auteur : Cécile Paris, Conduire, danser et filmer, En suspens, Aernout Milk au Jeu de Paume, Pergola au Palais de Tokyo, Elaine Sturtevant au Musée d'Art Moderne, Esther Shalev-Gerz au Jeu de Paume,
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