Entretien avec Vincent Olinet
Tu exposes actuellement à Paris à la galerie Laurent Godin (avec notamment un bateau de 5 mètres de haut) et à la Galerie des Galeries – Space for Fantasy -, avec une maison-secrétaire qui semble très élaborée. Fabriques-tu toi-même tes pièces et est-ce important ?
Tout à fait. C’est important que je « m’y colle », car j’ai toujours cette confrontation à la sculpture. Je travaille sans aucune aide, ce qui amène une certaine fraîcheur. N’étant ni ébéniste, ni menuisier, tout mon fini est approximatif. Mais j’apprends et éprouve l’envie d’explorer à chaque fois une nouvelle facette de la sculpture. Pour le bateau, c’était le côté maquettiste.
Ton emploi du low tech, que tu utilisais beaucoup dans tes premiers travaux, a t-il évolué ?
Je pense que je reste toujours dans le low tech. Comme je ne veux pas perdre cette faculté de fabriquer avec mes mains et de toucher les objets, je reste très près des matériaux. Par exemple la maison-secrétaire (Chute d’un empire – suite et fin) a beau avoir un aspect marqueté et vernis, elle a été réalisée au pistolet à clous et à grands coups de pinceau. Ça semble raffiné, mais ça ne l’est pas. Si je m’intéresse beaucoup à l’artisanat, qui est une forme de low tech en soi, je n’ai pas envie d’apprendre le métier que ferait un ébéniste ou un marqueteur. Je ne suis pas designer ou artisan, mais artiste. J’ai le droit de mettre ma touche personnelle, même si elle ne suit pas les canons de beauté fixés dans l’ébénisterie… Ça marche tout autant et tout aussi bien.
Comme choisis-tu tes titres et notamment Pas encore mon histoire (le lit flottant qui était exposé dans le jardin des Tuileries durant la Fiac 2009)?
Mes titres arrivent souvent quand j’écris sur mes travaux en devenir ou dois faire un bref compte-rendu. Des phrases, des jeux de mots ou une alchimie du langage se font et j’invente un titre. Parfois j’entends un commentaire sur mon propre travail que je réutilise. J’ai aussi des titres en attente… de l’œuvre. Pour Pas encore mon histoire, je racontais que c’était le début du conte de fées ou la fin, tout en étant autobiographique. C’était une histoire d’histoire et la mienne.
Pourquoi parles-tu autant de l’enfance et des contes de fées ?
J’ai pris la forme des contes de fées, et cela aurait pu être tout autre chose, pour leur côté universel. Tout le monde connaît cet aspect de la culture qui est pour moi un matériau très simple que je me réapproprie. Je suis aussi fasciné par cette espèce de déperdition, de déclin et de chute qui arrivent inexorablement. Il y a toujours un face à face à la réalité assez déstabilisant. Souvent on résume mon travail aux contes de fées, mais il n’y a pas que cela. Mes rouges à lèvre (Rouge Palerme, Rouge Oostende et Rouge Key West) démontrent par exemple l’influence des magazines et mes gâteaux accentuent l’imagerie de l’anniversaire. Le langage universel m’interpelle. La religion est aussi un réservoir d’histoires incroyables, qui se sont imposées de façon différente que les contes. A mon avis, ces histoires religieuses sont des mémoires personnelles traduites universellement. De même Le Petit chaperon rouge parle du passage à l’âge adulte et de la menstruation. On retrouve toujours un rapport à l’échelle humaine et une double lecture du matériau.
C’est intéressant quand tu parles de déperdition et de déclin car tes pièces m’apparaissent comme une promesse de bonheur qui n’arrivera pas. A l’exemple du bateau-flottant qui semble merveilleux au début, puis se dégrade jusqu’à la pourriture. Est-ce une métaphore de la vision d’un enfant qui découvre « la vraie vie » en grandissant ?
Je pense que c’est vrai. Mais je continue à y croire ! Ça n’est pas du pessimisme, mais une façon de se rappeler ce qu’on est, tout en référant à l’histoire des vanités. Une fois qu’on a compris comment marchaient les mécanismes du temps, on se rend compte que rien n’est jamais aussi beau que ce qu’on avait espéré. On passe par de nombreuses désillusions. Je fais un travail réaliste par rapport au monde des désillusions.
Quelles sont tes influences artistiques ? J’ai notamment pensé à l’Arte Povera pour Je vous aime tous, un arbre garni de fleurs à renouveler ou non…, mais aujourd’hui ?
Ce mouvement m’influence beaucoup car ses artistes ont atteint l’essentiel avec une grande simplicité de matériaux, prouvant que le contenu doit dominer. Je retrouve d’ailleurs dans l’Arte Povera ces histoires de low et d’high tech et ce contact avec la nature humaine, qu’ils exploitaient par le rapport à la nature même. Des artistes américains qui jouent l’américanisme ou l’entertainment comme Jeff Koons ou Paul McCarthy m’inspirent aussi beaucoup. Dans la peinture ancienne, que j’ai regardée pour les vanités, il y a le Caravage que je trouve toujours choquant. Parmi la scène actuelle française, je ne me sens pas encore faire partie d’une famille d’artistes. Évidemment je suis assez éloigné du néo-conceptualisme qu’on voit pas mal en ce moment…
Tu t’es très tôt confronté aux grands formats, pourquoi ?
J’aime ce jeu par rapport à la sculpture et l’idée de s’y perdre soi-même, de s’égarer visuellement dans les choses. Je fais des grands formats pour avoir le loisir d’y voyager à ma manière. Je suis le premier spectateur de mes œuvres. Par rapport aux autres médiums, la sculpture a cette particularité qu’on ne peut jamais la voir en entier, mais d’un seul côté. Petit, j’avais constaté qu’on ne pouvait jamais voir un globe dans sa totalité et je continue dans cette problématique.
Quelle est la place des photographies, tes vanités, dans ton œuvre ?
Je les conçois en tant qu’objet. Je ne fais pas de la photo, mais un objet. Je voulais continuer à jouer l’histoire de la peinture et de l’histoire de l’art en ayant cette confrontation à la nature morte. Je pose des fruits, des légumes ou des fleurs dans un aquarium que j’ai dans mon atelier et j’attends une semaine, avant de prendre la photo. C’est comme une photo à rebours, une performance presque. Le jeu est de mettre en scène et d’installer la lumière. Je continue à faire de la sculpture en quelque sorte. La photo n’est pas un médium pour moi, tout comme la peinture. Je ne fais pas de la peinture, je m’en sers juste.
Est-ce que la lenteur que tu imposes à tes pièces va à l’encontre d’une technologie omniprésente ?
Sûrement, mais je n’ai peut-être pas choisi le meilleur siècle pour faire mon travail ! Pour revenir à la réalisation de mes pièces, je valorise la notion de travail et de labeur. J’impose une lenteur dans la fabrication, qui transparaît dans mon travail ensuite.
As-tu conscience que ton travail peut parfois paraître un peu naïf ?
Oui, complètement et je l’assume. C’est parce que j’emploie des matériaux qui sont les contes de fées ou les goûters d’anniversaire… On me dit aussi souvent que mon travail est féminin… cela ne me gêne pas.
Propos recueillis par Marie Maertens
Il était deux fois, galerie Laurent Godin, jusqu’au 15 mai.
Space for Fantasy, Galerie des Galeries, jusqu’au 22 mai.
Frac Languedoc-Roussillon, Casanova for ever, Centre culturel français de Moscou, en partenariat avec les Beaux-Art de Lyon et Berne (Kunstmuseum et Zentrum Paul Klee).
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- Du même auteur : Entretien avec Céleste Boursier-Mougenot, Xavier Veilhan, Music, Le musée d’une nuit, Jean Bedez ou le réalisme assumé,
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