Xavier Veilhan, Music
Galerie Perrotin, Paris jusqu’au 11 avril 2015 et Galerie Perrotin, New York jusqu’au 8 avril 2015
Pour sa nouvelle exposition dans les galeries parisienne et new-yorkaise d’Emmanuel Perrotin, Xavier Veilhan présente une série de sculptures de producteurs mais aussi des mobiles et des huiles sur bois dédiés à ceux « qui conçoivent notre toile de fond musicale ».
Marie Maertens : Cette double exposition, qui rend hommage aux grands producteurs de musique, semble s’inscrire formellement dans la suite des Architectes, réalisés pour le Château de Versailles, mais aussi dans la continuité du projet SYSTEMA OCCAM, en collaboration avec Eliane Radigue, témoignant de votre intérêt pour le son, comme on l’avait vu auparavant avec Sébastien Tellier ou d’autres…
Xavier Veilhan : Le lien avec l’architecture est même davantage dans Architectones, cette expérience qui m’avait conduit à me rendre dans des constructions m’intéressant beaucoup et pour laquelle je devais convaincre les propriétaires, qui parfois ne connaissaient pas du tout mon travail, de réaliser une exposition chez eux ! Il est alors nécessaire de trouver un terrain d’entente et des points communs pour que la personne soit touchée d’une manière ou d’une autre. Pour ce projet, j’ai rencontré des producteurs et j’aime que le travail devienne une manière de générer des situations plutôt qu’uniquement des objets. Cela renvoie à une autre forme de pratique, qui est presque de l’esthétique relationnelle. Même si l’on ne fabrique pas des œuvres, mais qu’on les achète sur internet ou les fait réaliser par téléphone, je pense notamment à Bertrand Lavier, on développe un art de la discussion et de la conviction.
MM : Cela vous obligeait, je pense, à relire aussi votre propre travail, dans la manière dont il pouvait être perçu par les autres. Ensuite, comment se réalise exactement ce scanne qui permet l’élaboration des effigies des producteurs en 3D ?
XV : Une fois que nous avions réussi à les fédérer autour du projet, arrive cette attente étrange et très forte, durant laquelle la personne qui est scannée ne peut plus bouger. Car nous effectuons une sorte de radar, un relevé et une localisation de millions de points dans l’espace, qui vont ensuite être reliés en réseau afin de former un filet. Nous tournons autour d’eux, presqu’à la manière d’une danse et c’est un moment particulier, car nous sommes très concentrés alors qu’il faut détendre les gens. Je pourrais comparer cet exercice à un photographe de portrait ayant la nécessité de retirer quelque chose d’un moment qui ne peut s’engendrer sans une participation active. Car ces personnages sont tous dans la construction consciente d’une image d’eux-mêmes.
MM : Ce qui est intéressant, par rapport à la série des Architectes, au lien plus direct avec la structure et la sculpture, est que la musique est immatérielle. Il s’agissait donc de figer une essence. Avez-vous pensé à cette dichotomie ?
XV : C’était même le point central des deux expositions dans lesquelles nous présentons deux formes de musique un peu extrême, avec le côté plus pop des producteurs et un autre, plus radical et expérimental, lié à Eliane Radigue. J’ai voulu signifier des fréquences, des vibrations ou de la lumière… comme s’il y avait tout, sauf le son. Je voulais d’ailleurs une exposition très silencieuse et j’ai réalisé des œuvres plus petites que mes formats habituels, qui sont des blocs pleins, usinés, en acier ou en bois. Leur échelle fait qu’on se penche sur elles et cette densité est aussi contraire à la musique. Mais dans notre société, le son est partout et ce qui m’intéresse n’est pas sa force brutale, mais qu’à une période, des producteurs comme Brian Wilson, Phil Spector et George Martin ou encore Quincy Jones, Pharell Williams et Giorgio Moroder aient créé une sorte de couleur très ténue qui était diffuse partout.
MM : Est-ce aussi pour cela que l’on ne retrouve plus le système à facettes employé auparavant dans d’autres sculptures ?
XV : Ce sont des pièces très aveuglantes, que les gens ont gardé en mémoire car je pense qu’elles sont très efficaces. Comme une signature de mon « style », leur impact est aussi dû au fait qu’il renvoie à ce que les gens connaissent avant même de le voir. Si l’on parlait par exemple de pixels dans les années 1950, personne, et à juste titre, ne savait ce que c’était. Aujourd’hui, nous avons une compréhension de l’image comme une somme de plusieurs parties et une intuition générale de l’idée de volume, qui répond à une dimension universelle de la représentation. Mais je n’utilise plus ce procédé que pour des grandes sculptures dans les espaces publics.
MM : Il me semble que ce projet sur les producteurs est encore en évolution…
XV : Effectivement, au départ, je pensais en convaincre cinq ou six, mais une quinzaine d’entre eux ont répondu présents et nous nous sommes retrouvés à aller scanner à Londres, Paris ou Los Angeles… puis allons continuer. L’exposition de New York est plus monolithique dans le sens que j’y présente des mobiles et les producteurs, tandis qu’à Paris, j’ai développé des éléments intermédiaires qui font le lien, sans toutefois avoir voulu apposer des cartels indiquant de qui il s’agissait. J’aime cette structure conceptuelle qui n’est pas forcément visible lorsqu’on découvre les œuvres. Certains ont par exemple apprécié de voir les Daft Punk à visage découvert, tandis qu’un collectionneur me parlait du bois et du travail et, après m’avoir demandé qui c’était, il m’a répondu qu’il n’en avait jamais entendu parler ! C’était intéressant de jouer sur cette dimension de stars, parfois aveuglante, alors que je les ai choisi car ils ont généré un son très particulier ayant marqué leur époque, comme l’ensemble des producteurs ici. Selon le même procédé qu’en littérature, lorsqu’on s’intéresse à un auteur, on lit tout ce qu’il a écrit, puis on regarde ce que publie son éditeur, nous emmenant vers d’autres écrivains. Je m’intéresse à ces axes de fabrication que l’on peut retrouver parfois aussi dans l’art contemporain.
œuvres pérennes récemment inaugurées :
– Château de Rentilly, FRAC Île-de-France, Marne et Gondoire, depuis novembre 2014
– « Le Corbusier (Bust) », Palm Court, Miami Design District, depuis décembre 2014
– « The Skater », Amore Pacific Beauty Campus, Osan, Corée du Sud, depuis mars 2015
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- Du même auteur : Entretien avec Céleste Boursier-Mougenot, Le musée d’une nuit, Jean Bedez ou le réalisme assumé, Entretien avec Vincent Olinet ,
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